Le destin d’Ivan Chtecheglov est d’autant
plus remarquable qu’il semble coïncider, d’une certaine manière, avec celui
d’un héros du cycle arthurien : Yvain, le chevalier au lion dont il avait
adopté le nom en le faisant précéder du prénom d’un autre héros, de cinéma
celui-là : Gilles, l’un des « émissaires du diable » des Visiteurs du soir. En effet, à l’image de
celle d’Yvain, son « aventure » avec Guy Debord, n’aura duré qu’une
année ; après quoi, comme son modèle, il a sombré dans la démence. Mais il
n’y aura pas pour lui de remède miracle pour le faire revenir. On peut noter
aussi que le couple que forment Gilles et Dominique dans Les Visiteurs du soir peut être identifié à celui que formait
Debord avec Michèle Bernstein — ce couple est en fait une triade puisque
Dominique est une figure androgyne.
À cet endroit de son film, Debord insère une
quatrième séquence vénitienne : « Travelling
sur l’eau : l’entrée du Port de San Giorgiro. » J’ai signalé que
San Giorgio renvoie à San Michele — qui n’apparaît jamais dans In girum — « l’île des morts » ;
pendant que le commentaire s’interroge : « Avions-nous à la fin
rencontré l’objet de note quête ? […] » On sait que nos chevaliers du
négatif, en désespoir de cause, se sont lancés à la poursuite d’un « Graal
néfaste, dont personne n’a voulu ». Il faut cependant remarquer, là aussi,
que, dans le « monde à l’envers », les figures négatives : le
« Graal néfaste » ; « le mauvais côté qui fait
l’histoire » ; le « Diable » sont elles-mêmes à renverser ;
et qu’elle prenne alors une valeur positive.
De toutes ces figures négatives qui sont
convoquées par Debord, celle du Diable occupe une place éminente. « […]
nous avions remis la main sur le secret de diviser ce qui était uni. […] »
C’est évidemment le « Prince de la Division » qui est ici évoqué. C’est
donc « au parti du Diable » que les jeunes rebelles du Quartiers vont
se rallier. Debord insère à cet endroit de son film deux séquences d’un film de
Gianfranco de Bosio : Le Terroriste
qui se déroule dans une Venise occupée par les Allemands. La première : « Guetteurs, et transport dans un
quartier de Venise. » se comprend sans problème dans le contexte. La
seconde est plus intéressante et demande à être creusée : « Travelling sur l’eau dans un canal très
étroit de Venise. » ; d’abord parce qu’elle n’apparaît pas comme
un extrait du Terroriste. On pourrait
penser qu’elle fait partie des images que Debord à fait tourner à Venise ;
mais il n’en est rien. Le commentaire en voix off dit : « C’est ainsi que nous nous sommes engagés
définitivement dans le parti du Diable […]. » Suit alors un extrait des Visiteurs du soir qui montre l’arrivée
du Diable au château du baron Hugues.
(À suivre)
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