mercredi 22 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 13



Le destin d’Ivan Chtecheglov est d’autant plus remarquable qu’il semble coïncider, d’une certaine manière, avec celui d’un héros du cycle arthurien : Yvain, le chevalier au lion dont il avait adopté le nom en le faisant précéder du prénom d’un autre héros, de cinéma celui-là : Gilles, l’un des « émissaires du diable » des Visiteurs du soir. En effet, à l’image de celle d’Yvain, son « aventure » avec Guy Debord, n’aura duré qu’une année ; après quoi, comme son modèle, il a sombré dans la démence. Mais il n’y aura pas pour lui de remède miracle pour le faire revenir. On peut noter aussi que le couple que forment Gilles et Dominique dans Les Visiteurs du soir peut être identifié à celui que formait Debord avec Michèle Bernstein — ce couple est en fait une triade puisque Dominique est une figure androgyne.

À cet endroit de son film, Debord insère une quatrième séquence vénitienne : « Travelling sur l’eau : l’entrée du Port de San Giorgiro. » J’ai signalé que San Giorgio renvoie à San Michele — qui n’apparaît jamais dans In girum — « l’île des morts » ; pendant que le commentaire s’interroge : « Avions-nous à la fin rencontré l’objet de note quête ? […] » On sait que nos chevaliers du négatif, en désespoir de cause, se sont lancés à la poursuite d’un « Graal néfaste, dont personne n’a voulu ». Il faut cependant remarquer, là aussi, que, dans le « monde à l’envers », les figures négatives : le « Graal néfaste » ; « le mauvais côté qui fait l’histoire » ; le « Diable » sont elles-mêmes à renverser ; et qu’elle prenne alors une valeur positive.

De toutes ces figures négatives qui sont convoquées par Debord, celle du Diable occupe une place éminente. « […] nous avions remis la main sur le secret de diviser ce qui était uni. […] » C’est évidemment le « Prince de la Division » qui est ici évoqué. C’est donc « au parti du Diable » que les jeunes rebelles du Quartiers vont se rallier. Debord insère à cet endroit de son film deux séquences d’un film de Gianfranco de Bosio : Le Terroriste qui se déroule dans une Venise occupée par les Allemands. La première : « Guetteurs, et transport dans un quartier de Venise. » se comprend sans problème dans le contexte. La seconde est plus intéressante et demande à être creusée : « Travelling sur l’eau dans un canal très étroit de Venise. » ; d’abord parce qu’elle n’apparaît pas comme un extrait du Terroriste. On pourrait penser qu’elle fait partie des images que Debord à fait tourner à Venise ; mais il n’en est rien. Le commentaire en voix off dit : « C’est ainsi que nous nous sommes engagés définitivement dans le parti du Diable […]. » Suit alors un extrait des Visiteurs du soir qui montre l’arrivée du Diable au château du baron Hugues.

(À suivre)

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