lundi 27 mai 2013

Cryptanalyse d’In girum / 16



Cet éloge prend les allures d’un panégyrique qui ne supporte « ni blâme, ni critique » : « Je n’ai jamais trop bien compris les reproches qui m’ont souvent été fait, selon lesquels j’aurais perdu cette belle troupe dans un assaut insensé, ou par une complaisance néronienne. […] » Mais In girum est aussi un Panégyrique avant la lettre.

Le film peut alors passer à la seconde époque. Paris tombée aux mains de l’ennemi : voici Florence. « Après cette splendide dispersion, j’ai reconnu que je devais, par une soudaine marche dérobée, me mettre à l’abri d’une célébrité trop voyante. […] » À l’écran un extrait du Terroriste : « Un homme passe au croisement de rues désertes, à Venise. » Allusion à la « célébrité, clandestine et mauvaise » revendiquée par Debord et indication de la prochaine étape ; peu avant le black-out qu’il va imposer au spectateur : « Carton : “Ici les spectateurs, privés de tout, seront en outre privés d’image.” » Le commentaire poursuit — « L’ÉCRAN RESTE NOIR. » — par une « justification » de Debord sur sa conduite exemplaire. Il s’achève sur l’annonce qu’In girum sera son dernier film : « Le résultat de ces recherches, et voilà la seule bonne nouvelle de ma présente communication, je ne le livrerais pas sous la forme cinématographique. »

Comme c’était le cas pour Paris, Florence est principalement montrée à travers des photos aériennes qui permettent la vue panoptique : le regard de haut et de loin ; et une reproduction d’un panorama de la Fiorenza du Quattrocento. Cette évocation n’oublie pas les « amoureuses », grandes ou petites : « Alice et Céleste. » ; « Céleste nue. » ; et « Une Florentine. » qui lui est l’occasion de convoquer Dante : « “Chacune est citoyenne d’une véritable cité, mais tu veux dire celle qui a vécu son exil en Italie.” »

Mais le temps marche vite. Florence ne sera qu’une brève station sur le chemin de l’exil : « Et moi aussi, après bien d’autres, j’ai été banni de Florence. » — on revoit « [l]e visage de Céleste », puis « d’autres filles dévêtue ». Comme dans le film de Visconti, Venise se profile à l’horizon dans une lumière crépusculaire : terminus. Le commentaire dit : « De toute façon, on traverse une époque comme on passe la pointe de la Dogana, c’est-à-dire plutôt vite. » La pointe de la Dogana, c’est aussi la pointe de la Salute que l’on voit longtemps à l’écran. Au-delà, ce sont des « eaux inconnues » ; qui deviendront, à la fin d’In girum, cette « grande étendue d’eau vide » comme un miroir où plus rien ne se reflète ; et sur laquelle s’inscrit : « À reprendre depuis le début. » Le bateau affrété par Debord qui traverse tout le film se dirige à présent vers l’Arsenal qui, une fois contourné, le mènera à sa destination : « l’Île des Morts ».

(À suivre)

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