Dans le chapitre conclusif de Pour mémoire* Boris Donné écrit :
« L’enchevêtrement des fils qui tissent ces Mémoires en font un texte impénétrable, dont la cohérence profonde
et la pleine signification devaient longtemps rester le secret de
Debord. » Cette remarque s’applique également — et à plus forte raison,
pourrait-on dire — à In girum qui
constitue l’achèvement de ces Mémoires
et vient les celer par un Testament qu’il s’agit à présent de déchiffrer.
On a, avec Notes sur les intentions du film In girum mimus nocte et consumimur igni,
une idée générale sur la manière dont debord travaillait. Ainsi, celle-ci :
« Film n°2 / Processus (à partir de jan. 76) / G.-M. /– Il faut arrêter : les thèmes, puis leur enchaînement
(= “scénario” de base du film). / – Puis arrêter, parallèlement : / les
blocs détournés (de films) [et les blocs/tournages]
/ et / les phrases/comm[entaires].
Détournées / (ou citations) [+ chansons] / – Puis habiller et relier ces
successions de blocs – déployés selon le plan du “scénario” – avec du
comm[entaire] rédigé. / Puis compléter avec des sous-titres (évent[uellement] des placards ?) – et placer la
musique. » Mais tout cela reste très technique. Cette autre renseigne,
mais là aussi très généralement, sur les intentions et le contenu du film :
« F[ilm] n°2, 9 mai 76 / Examiner cette ligne générale / Faire cette fois un film non tant politique que
“lyrique”. Rechercher avec cette force
du cinéma, ce que serait un emploi du langage du niveau de Mallarmé, etc. (càd.
“à se rouler par terre”, cf. la demi-dose d’Hiroshima).
/ Être ainsi le trouvère-guerrier de ce temps… / Dans cet esprit, voir – pour y
ramener les thèmes du film – quels
sont les thèmes profonds (dans tous les esprits, ou cœurs) du lyrisme
humain : / A. thèmes permanents – le passage du temps / l’amour /
(l’amitié) / l’action et l’aventure / (la violence) / (l’orgueil et la sagesse)
/ B. thèmes actuels – l’environnement / (la perte de la qualité) / la critique
et la révolution. »
Il apparaît que lorsque Debord a commencé à
rassembler des matériaux pour son film le titre n’en était pas encore arrêté. Une
Note de sa main précise que : « Le film n°2 pourrait-il s’appeler ?
L’ART DE
LA GUERRE
(d’après Sun Tsu et Machiavel) + Jomini / ou bien quel autre détournement d’un grand titre. » Furent envisagés les
détournements suivants : Commentaires
sur la guerre du Péloponnèse de Thucydide Commentaire sur le Prince de Machiavel, Le particulier s’use en combattant ; ou encore dans un autre
domaine : Les aventures de Don
Quichotte, Considérations sur les
causes de la grandeur des Romains et de leur décadence ; et même le
plus direct Enquête sur le monde qu’à
recherché Guy Debord.
La première allusion au palindrome-titre date
de décembre 1977. Dans une Note sur In
girum, Debord écrit : « Tout le film (aussi à l’aide des images,
mais déjà dans le texte du “commentaire”) est bâti sur le thème de l’eau. On y cite les poètes de l’écoulement de tout (Li Po, Omar
Kháyyám, Héraclite, Bossuer, Shelley ?) qui tous on parlé de l’eau : c’est le temps. / Il t a secondairement
le thème du feu ; de l’éclat de l’instant : c’est la
révolution, Saint-Germain-des-Prés, la jeunesse, l’amour, la négation dans sa nuit, Le Diable, la
bataille et les “entreprises inachevées” où vont mourir les hommes, éblouis en
tant que “voyageurs qui passent” ; et le
désir dans cette nuit du monde (“nocte consumimur igni”). / mais l’eau du
temps demeure qui emporte le feu, et l’éteint. Ainsi l’éclatante jeunesse de
Saint-Germain-des-Prés, le feu de l’assaut de l’ardente “brigade légère” ont
été noyés dans l’eau courante du siècle quand elles se sont avancées “sous le
canon du temps”… »**
On peut d’ores et déjà remarquer que Debord
ne donne comme thèmes de son film que deux des éléments qui circulent dans le quaternaire
traditionnel : l’eau et le feu ; manquent la terre et l’air qui sont
pourtant aussi présents dans In girum :
« la terre gâtée » qui n’a pu être rédimé par les « chevaliers
du négatif » qui sont « venus comme de l’eau » ; et qui
sont « partis comme le vent ».
__________________
*Pour
mémoire, Un essai d’élucidation des
Mémoires de Guy Debord, Allia.
** Je ferais remarquer les points de
suspension qui suivent l’expression : « sous les canons du
temps » — ce qui, retourné, donne :
le temps des canons… Étonnant, non ?
(À suivre)
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