L’injonction de l’incruste finale est à
prendre à la lettre. Ce n’est qu’une
fois arrivé à la fin que le film commence véritablement. En effet, les
dernières images d’In girum sur
lesquelles apparaît : À REPRENDRE DEPUIS LE DÉBUT, sont celles
d’« une grande étendue d’eau vide » ; et ce miroir, sur lequel rien ne vient se réfléchir, renvoie au
« miroir glacé de l’écran » qui « fait face, en parfait
contre-champ, aux spectateurs, qui ne voient donc qu’eux-mêmes sur cet
écran », au début du film. On peut d’ores déjà noter que la photographie
de Debord à quarante-cinq qui apparaît vers la fin dans une série de portraits,
qui se clôt sur le dernier autoportrait de Rembrandt, est une photographie
prise dans un miroir (par Alice !).
Il faut donc — littéralement et
impérativement — reprendre le film au début une fois arrivé à la fin et, la boucle
ainsi bouclée, entrer véritablement dans l’histoire. Ces spectateurs qui, en
ouverture, regardent fixement « dans le miroir glacé de l’écran »,
sont renvoyés à leur misère essentielle par un Debord se trouvant, lui, de l’autre côté du miroir ; et qui est
revenu pour les juger, eux et leur monde, dans ce « Prologue aux enfers »
qui se place à la fois avant le commencement du film et après la fin.
Le « vaisseau » que l’on voit
apparaître tout au long du film et tourner autour de Venise, sans jamais qu’il
y pénètre, a été affrété par Debord pour ramasser les combattants situationnistes
tombés au champ d’honneur et les conduire à leur dernière demeure sur « L’Île
des Morts » de San Michele. Sa tâche accomplie, il lui faut encore revenir pour chanter les exploits de
cette troupe d’élite dont il était responsable et qu’il a menée jusqu’« au
cœur même de la destruction ». On peut donc prendre l’avertissement liminaire
qu’il donne comme autre chose qu’une marque de présomption : « Ainsi
donc, au lieu d’ajouter un film à des milliers de film quelconques, je préfère exposer
ici pourquoi je ne ferai rien de tel. Ceci revient à remplacer les aventures
futiles que conte le cinéma par l’examen d’un sujet important : moi-même. »
De fait, il reste le seul à pouvoir relater
cette histoire héroïque afin d’en conserver la mémoire — avant de disparaître à
son tour lui aussi.
La chronique de l’« étrange guerre »
des chevaliers du négatif dont il fut le chef et stratège malheureux peut alors
commencer ; par la jeunesse du héros et ses premières aventures, comme il
se doit.
C’est ce que nous examinerons dans le
prochain épisode.
(À suivre)
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