La nostalgie de la jeunesse perdue s’exprime dans
le détournement d’un quatrain d’Omar Káyyám : « “Quand nous étions
jeunes… » — mais la jeunesse est morte. « Vois le fond de tout cela :
que nous arriva-t-il ? – Nous étions venus comme l’eau, nous sommes partis
comme le vent.” » » Et encore des images de guerre : « Travelling depuis un avion qui mitraille des
troupes débarquées sur une plage, les dispersant. » L’heure est venue
du bilan. Debord apparaît en Lacenaire avec un dernier extrait des Enfants du paradis : « […]
Lacenaire revoit Garance qui lui demande : “Dites-moi plutôt de que vous
êtes devenu ?” Et il lui répond : “Je suis devenu célèbre. Oui, j’ai
réussi quelques méfaits retentissants […].” Garance sourit : “mais c’est
la gloire, Pierre-François.” Et lui : “Oui ça commence… Mais, à la
réflexion j’aurais tout de même préféré une éclatante réussite littéraire.” »
Cette dernière phrase de Debord / Lacenaire prend une résonance singulièrement
ironique à l’heure de la célébration de la BnF — bien loin de celle qu’elle pouvait
avoir alors.
Le rétrospective se poursuit par la
déclinaison des différentes demeures habitées par notre « héros ». À
Paris, la « maison, impasse de
Clairvaux » ; « [u]ne
autre, rue Saint-Jacques » ; encore « [u]ne autre, rue Saint-Martin ». En
Toscane, « [u]ne autre, dans les
collines du Chianti » ; « [u]ne autre à Florence ». Et, pour finir, sa dernière demeure « [d]ans
les montagnes d’Auvergne » — elle ne le deviendra en fait que bien plus
tard, après son suicide. Le commentaire prend alors le ton funèbre d’une
oraison avec un détournement du Testament
de Villon : « “Où sont les gracieux galants – que je suivais au temps
jadis ?“ Ceux-là sont morts ; un autre a vécu encore plus vite,
jusqu’à ce que se referment les grilles de la démence. » Les
« morts », dont les photos apparaissent à l’écran, sont :
« Ghislain de Marbaix » ;
« Robert Fonta » ;
« Asger Jorn ».
L’« autre » est Ivan Chtecheglov qui est évoqué encore une fois à
travers la figure du Prince Vaillant
d’Harold Foster ; et une dernière séquence du film de Carné et Prévert :
« Gilles chante, enchaîné dans sa prison des “Visiteurs du Soir” :
“Triste enfants perdus, nous errons dans la nuit […]. Le diable nous emporte
sournoisement avec lui […]. Notre jeunesse est morte, et nos amours
aussi.” » À l’écran se succèdent : « Une inconnue. » ; « Une jeune amante d’autrefois. Un autre, contemporaine. D’autres amies
du temps passé. » — parmi celles-ci, Michèle Bernstein et Éliane Papaï
ici réunies dans le « café de jeunesse perdue ».
Suivent une série de photos de Debord
lui-même aux différents âges de sa vie ; dont celle prise dans un miroir
par Alice. La série se clôt sur « [l]e
dernier autoportrait de Rembrandt. » On peut, à ce propos, se rappeler
d’une ancienne déclaration de Debord en ouverture de Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité
de temps : « Nous, nous avons beaucoup d’orgueil, mais pas celui
d’être Rembrandt dans les musées. » dans laquelle il est difficile de ne
pas voir aujourd’hui l’ironie qui ne s’y trouvait certainement pas alors.
(À suivre)
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