Examinons à présent la structure générale d’In girum. Il faut remarquer d’abord
l’animation spéciale dont fait l’objet le palindrome-titre dans le générique du
film. Debord avait indiqué précisément la manière dont il devait être réalisé
dans une Note. Cette animation montre la circularité du palindrome qui s’inscrit
lettre à lettre : « chaque lettre apparaissant en même temps –
restant seule assez longtemps »
— c’est-à-dire que le palindrome s’écrit progressivement devant les yeux du
spectateur, simultanément dans les deux
sens jusqu’à épuisement de toutes les lettres mises en relation une à une.
Cette circularité s’exprime dans l’incruste
finale d’In girum. Debord en a donné l’explication
suivante : « “À
REPRENDRE DEPUIS LE DÉBUT” :
le mot reprendre à ici plusieurs sens conjoints dont il faut garder le maximum.
D’abord : à relire, ou à revoir, depuis de le début (évoquant ainsi la
structure circulaire du palindrome). Ensuite : à refaire (le film ou la
vie de l’auteur). Ensuite : à critiquer, corriger, blâmer. » Le
rapport est fait avec le palindrome sans que Debord ne parle de son implication
éventuelle dans la structure du film lui-même. Il est vrai que cette note se
trouve dans une Liste des citations et
détournements à destination des traducteurs et qu’elle n’a donc qu’une
valeur explicative à leur usage. Les autres Notes de Debord sur In girum ne sont pas plus éclairantes.
Ce qui est certain en tout cas, c’est que Debord tenait à ce qu’In girum soit un film particulièrement
« difficile ». Fabien Danesi écrit* : « En octobre [1976],
Debord pense à “une écriture vraiment difficile”, ne voulant rien offrir au
spectateur qui ressemblerait à une pensée confortable, afin de contrarier la
démagogie spectaculaire et retrouver l’âpreté du potlatch. » Et il fait
état de cette « fiche datée du 9 mai 1976 » où « Debord évoque
la force possible du cinéma et renvoie à un emploi du langage dans la lignée de
Mallarmé. » ; il ajoute la précision suivante : « Ici se
dessine une volonté d’écarter tout didactisme et de retrouver la dimension
presque absconse ou ésotérique de ses précédents courts métrages […]. » La
référence aux courts métrages, à savoir : Sur le passage de quelques personnes à travers une asse courte unité
de temps, et Critique de la
séparation n’est pas pertinente ; même si on y ajoute une
« dimension presque absconse ou ésotérique » qu’ils n’ont pas. Debord
dit du premier : « On peut considérer ce court-métrage comme des
notes sur l’origine du mouvement situationniste ; notes qui de ce fait
contiennent évidement une réflexion sur leur propre langage. » ;
Antoine Coppola** écrit des deux : « Sommes de notes écrites,
visuelles, somme de remarques concernant la vie du groupe, ces films
s’adressent avant tout au public composé des membres de l’I.S. eux-mêmes, et de
ceux qui désirent en savoir plus sur ce groupe qui se présente comme un mythe
en cours de formation. » En tout état de cause, si l’on veut trouver quelque
chose d’« absconse ou ésotérique » c’est certainement dans In girum qu’il faut chercher et non pas
dans des courts métrages qui sont plutôt à usage interne — ce qui suffit à
expliquer d’éventuelles difficultés de compréhension.
____________________
* Article consacré à In girum dans le catalogue de l’exposition Debord de la BnF.
** Introduction
au cinéma de Guy Debord et de l’avant-garde situationniste, Sulliver.
(À suivre)
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