Mais revenons. La suite du commentaire évoque
le développement de l’action des situationnistes : « Tout au long des
années qui suivirent, des gens de vingt pays se trouvèrent pour entrer dans
cette obscure conspiration aux exigences illimitées. Combien de voyages
hâtifs ! Combien de rencontres dans tous les ports d’Europe !
[…] » À l’écran se succèdent les photos de quelques-uns des protagonistes
de l’aventure : « Asger Jorn » ;
« Pinot-Gallizio » ;
« Attila Kotányi » ;
« Donald Nicholson-Smith ».
Mais dès le commencement la fin est déjà présente. Debord insère à ce moment un
« [p]anoramique sur les participants
de la VIIIe Conférebce de l’Internationale situationniste, à Venise. ».
Le commentaire dit : « Ainsi fut tracé le programme le mieux fait pour frapper d’une
suspicion complète l’ensemble de la vie sociale : classes et
spécialisation, travail et divertissement, marchandise et urbanisme, idéologie
et état, nous avons démontré que tout était à jeter. » Ce
« programme » est resté lettre morte. Même si, après Venise, on en
compte encore une Conférence qui s’est tenue à Wolsfeld-Trier en Allemagne, on
peut considérer la celle de Venise comme la dernière : l’I.S. est morte à
Venise. On peut se souvenir, à ce propos de la nouvelle de Thomas Mann : La Mort à Venise adaptée au cinéma par
Luchino Visconti. Si Debord l’avais lue, peut-être aurait-il envisagé ce titre
pour son film. On peut y lire la phrase suivante : « […] la passion,
comme le crime, ne s’accommode pas de l’ordre normal, du bien être monotone de
la vie journalière, et elle doit accueillir avec plaisir tout dérangement du
mécanisme social, tout bouleversement ou tout fléau affligeant le monde, parce
qu’elle peut avoir le vague espoir d’y trouver son avantage. » Gageons
qu’il l’aurait certainement consignée sur l’une de ces petites fiches de
bristol qu’on expose aujourd’hui — sans doute aurait-il même pu l’intégrer à
son film testamentaire.
La « chute de Paris » encore à
venir est d’ores et déjà anticipé : « Il faudrait bientôt la quitter
cette ville qui pour nous fut si libre, mais qui va tomber entièrement aux
mains de nos ennemis. […] / Il faudra la quitter, mais non sans avoir tenté une
fois de s’en emparer à force ouverte ; il faudra la quitter après tant
d’autres choses pour suivre la voie que détermine les nécessités de notre
étrange guerre, qui nous a mené si loin. » À l’écran : « Travelling sur un “Kriegspiel” où s’affrontent
deux armées. » C’est la seconde fois qu’apparaît le Kriegspiel inventé par Debord. La
première se situe au début du film, quand il exprime son intention de faire un
film difficile. Il réapparaîtra une dernière fois, à la fin de laséquence d’In girum consacrée à Florence :
« Je me suis donné les moyens d’intervenir de plus loin […] » (Il
serait certainement intéressant d’étudier les différentes configurations des
parties qui sont montrées ; mais je ne joue pas de ce jeu-là. À propos de
ce fameux Kriegspiel dont Debord se
flatte d’être l’inventeur, on peut signaler qu’il existe un vieux jeu de
stratégie chinois qui s’appelle : xiangqi
aussi nommé : échecs chinois qui présente une certaine ressemblance avec
le Jeu de la guerre debordien.)
Dans la suite, Debord file la métaphore
guerrière qu’il affectionne particulièrement ; dans son commentaire et à
travers différents extraits de films où l’on voit généralement le choc de deux
armées qui se heurtent frontalement. La
Charge fantastique de Raoul Walsh dans sa première partie ; La Charge de la brigade légère
dans ses deux versions, celle de Michael Curtiz (1936) et celle de Tony Richardson
(1968). Debord fait ainsi l’éloge de l’action de l’I.S. qu’il a lui-même conduite :
« […] jamais, j’ose le dire, notre formation n’a dévié de sa ligne,
jusqu’à ce qu’elle débouche au cœur même de la destruction. »
(À suivre)
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