Ralph Rumney artiste rebelle et cofondateur
de l’Internationale situationniste
L’artiste, écrivain et cofondateur de
l’Internationale situationniste, Ralph Rumney est mort du cancer à Manosque,
Provence, à l’âge de 67 ans.
Interviewé dans La Carte N’est Pas Le Territoire, une étude sur sa vie et son
travail d’Alan Woods, il disait : “Je pense que le truc, autant qu’il est
possible, est d’être en quelque sorte anonyme dans la société. Vous savez, en
quelque sorte évanescent.” Effectivement, jusqu’à la publication l’année
dernière de ce livre merveilleux, Ralph semblait presque avoir été oublié dans
son propre pays, excepté par ceux d’entre nous qui ont été assez chanceux pour
l’avoir connu.
En 1989, la Tate a acheté l’une de ses
peintures, The Change, datant de
1957. Et il y a eu quelques rétrospectives montrant son travail dans les
dernières années, plus récemment dans la ville d’Halifax où il avait habité.
Ralph a produit un vaste corpus de travaux
tout au long de ces années – des abstractions informelles aux grande toiles utilisant
la feuille d’or et d’argent, des moules au plâtre aux polaroïds, aux montages
et aux vidéos. Mais c’est seulement maintenant que ces chose sont ré-assemblées
et réévaluées. Comme il l’a dit : “Elles ont été éparpillées un peu
partout. Cela correspond à un mode de vie particulier, à ses hasards et à
différentes circonstances. Les choses sont vendues, les choses sont perdues. On
peut presque dire aujourd’hui que je suis un artiste sans œuvre, qu’elles sont
devenues accessoires.”
Les trucs évanescents de Ralph étaient
célèbres, c’était la part essentielle d’une vie d’aventure permanente et
d’expérimentation sans fin. Il oscillait, comme le disait son ami Guy
Atkins : “entre la pénurie et une abondance presque absurde. Quelqu’un
pouvait lui rendre visite dans une chambre sordide de Neal Street, dans une
maison partagée avec des presque clochards. Le suivant le trouverait Au Harry’s Bar à
Venise ou au vernissage de Max Ernst à Paris. Il semblait prendre la pauvreté
avec plus de sérénité que les richesses.”
Seulement plus tard, et en partie à cause de
sa mauvaise santé, Ralph s’est installé à Manosque, où il partageait un étage
rempli de ses peintures, avec son chat, Borgia. Pour Le Consul, un autre livre d’interviews avec lui qui sera bientôt
publié en Angleterre, il avait choisit comme épigramme un phrase de l’écrivain
français Marcel Schwob : “Fuis les ruines et ne pleure pas parmi.”
Presque toute sa vie, Ralph fut un nomade,
errant de pays en pays, parfois dans l’embarras ou parfois pas, à Londres,
Paris, Milan, Venise, ou dans la petite île de Linosa, au sud de la Sicile, un
des endroits qu’il préférait. “Je me suis toujours senti totalement à l’aise
parmi ses 400 habitants, régulièrement coupés du monde pour de longues
périodes. Certains m’ont accusé d’aimer la solitude, mais je voudrais affirmer
que j’avais trouvé là, en fait, une petit société à l’échelle humaine.”
Ayant affirmé ne pas avoir cru aux
avant-gardes, Ralph avait néanmoins croisé le chemin – et parfois le fer — d’à
peu près chacun des mouvements radicaux artistiques et politiques des 50 dernières années, il avait apporté sa
contribution, et passé outre.
Il était né à Newcastle, et, à l’âge de deux
ans, il avait déménagé à Halifax, où son père, le fils d’un mineur de charbon,
était vicaire. Il avait enduré l’internat, découvert Sade et les surréalistes
au début de son adolescence, refusé des places à Oxford et à l’École d’art, s’était
enfui vers la bohème de Soho, et vers Paris.
Il s’est est suivi un long voyage erratique.
En route*, ses compagnons de voyage comprenaient : E. P. Thompson, qui lui
donna une chambre lorsqu’il avait 17 ans pour qu’il puisse échapper à ses
parents, et approfondir sa compréhension du marxisme ; Stephan Themerson,
un collaborateur d’Other voices, le
magazine que Ralph produisait à Londres
au milieu des années 1950 ; George Bataille, avec lequel Ralph avait débattu
de l’érotisme ; Yves Klein, dont Ralph avait introduit le travail dans le
monde de l’art londonien, comme celui de Michaux, Fontana et d’autres ;
William Burroughs ; et le philosophe et psychiatre, Félix Guattari, qui
avait donné asile à Ralph dans sa clinique à l’extérieur de Paris quand il fut,
de manière scandaleuse, accusé de meurtre. En 1967, la femme de Ralph, Pegeen –
qu’il avait sauvée de tentatives de suicide précédentes – mit fin à ses jours
par une overdose de barbituriques dans leur appartement de Paris. Sa mère,
Peggy Guggenheim, qui avait toujours détesté Ralph (pour des raisons qu’il
décrit, avec esprit et une surprenante absence d’amertume, dans Le Consul), entreprit une action
judiciaire contre lui pour meurtre et “non-assistance à personne en danger”. Déjà
bouleversé par la perte de sa femme, Ralph endura des mois de persécution avant
que l’action ne soit abandonnée. Ce fut l’implication de Ralph aux côtés des situationnistes
qui compta le plus pour lui, et qui a, pour partie, conduit à la redécouverte
de son travail. Il existe une série de photographies de la première réunion de
l’Internationale situationniste, dans le village italien de Cosio D’Arroscia en
juin 1957. Tous les membres fondateurs sont là : Walter Olmo, Michèle Bernstein,
Asger Jorn et, bien sûr, Guy Debord, souriant à l’appareil. Seul manque Ralph,
– parce qu’il prenait les photos.
Sa propre description de la fondation de ce que certains
considèrent à présent comme le regroupement révolutionnaire le plus lucide de
la seconde moitié du 20e siècle est modeste, mais suffisamment précise :
“Au niveau des idées, je ne crois pas qu’on ait inventé rien qui n’existait
déjà. Ensemble, on a fait une synthèse en utilisant Rimbaud, Lautréamont et
quelques autres, comme Feuerbach, Hegel, Marx, les futuristes, Dada, les
surréalistes. On a su combiner tout ça.”
Ralph n’est pas resté longtemps membre de l’I.S.
Debord l’a exclu – “poliment, même aimablement” – moins d’une année après, l’accusant,
à tort, si l’on se réfère à ce qui s’est passé, d’avoir été incapable de mener
à bien un projet d’exploration psychogéographique de Venise. Mais son
association avec les situationnistes ne s’arrêta pas là. Elle s’est poursuivie
toute sa vie ; il est resté ami avec beaucoup d’entre eux.
Au début des années 1970, Ralph a épousé l’ancienne
femme de Debord, Michèle Bernstein, et, bien qu’il en ait divorcé plus tard,
ils restèrent tout deux des amis proches. Pour Ralph, elle était “la plus
situationniste” d’eux tous, celle qui se battait pour empêcher le groupe de
tomber dans l’idéologie ou la secte. Dans ce domaine, ils étaient en parfait
accord.
Il y a quelques années, avec l’intérêt
croissant du public pour les situationnistes, une pléthore de livres sur le
mouvement fut publiée en France. Mais c’était Le Consul qui fut, comme le journal Libération l’écrivit : “le plus vivant, le plus passionné”.
Ralph incarnait le meilleur de l’I.S., dans son intransigeance politique et sa
curiosité intellectuelle, dans son sens du jeu et son esprit, et dans sa colère
contre ceux qui menaient en courant ce monde à la ruine. Lui survit son fils,
Sandro, un marchand d’art renommé.
Malcolm Imrie Mars 2002
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* En français dans le texte.
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