« Il
faut neiger sur ses pas ; il faut faire attention d’effacer toute trace si
on veut laisser quelque chose qui soit dans la mémoire des gens
[…]. », cette remarque en forme de paradoxe, faite par Marc’O lors d’une
conversation avec le jeune Debord*, s’applique parfaitement à la manière dont
celui-ci conduira sa vie, à condition d’y opérer une légère correction :
il faut faire attention à ne pas effacer toutes
ses traces — sans quoi plus personne ne peut suivre. « Il faut neiger sur ses pas. » :
la formule dans sa tournure poétique constitue la devise idéale pour un blason.
Tout ce que Debord a entrepris se retrouve dans le jeu de ce paradoxe, entre une
disparition pure et simple — l’oubli — et une quasi disparition — l’occultation :
s’effacer pour mieux marquer la mémoire. Ce dispositif fonctionne dans toute l’œuvre
de Debord, qu’elle soit littéraire ou cinématographique ; et ce d’autant
mieux que, contrairement à Vaneigem qui est l’homme de la profusion, Debord a,
quant à lui, toujours pratiqué un art de la retenue. Il n’y a sans doute pas
une seule page publiée de son vivant où tout n’a pas été pesé, compté, mesuré
de façon à ce que ce qui est dit le soit avec une économie de moyen et une
précision extrême dans la formulation — ce qui constitue aussi un miroir aux
alouettes.
Une autre des caractéristiques de l’œuvre
debordienne est de constituer un tout fermé sur lui-même ; tous les
éléments qui y entrent sont pris dans un système de relations où ils jouent :
ils peuvent être déplacés, modifiés, reconfigurés sans que l’ensemble perde de
sa cohérence — comme si dans ce jeu tous les coups avaient été prévus à
l’avance. C’est ainsi que l’on retrouve dans tous ses films les mêmes images,
souvent recadrées, les mêmes visages, les mêmes formules, parfois légèrement
modifiées, pour dire la même chose — ou presque. Parce qu’il n’y a rien d’autre
à raconter. C’est toujours la même histoire ; celle de la « longue révolution »
qui dévore à mesure ses enfants perdus : « […] ce sont des jours et des nuits, des villes et des vivants, et au fond
de tout cela, une incessante guerre. »
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* Interview de Marc,O pour la série de quatre
émissions consacrées à l’I.S. en 1996 sur France culture.
(À suivre)
(À suivre)
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