Quelques citations tirées des interventions de Serge Latouche et d'Anselm Jappe. Je précise que le texte auquel je fais référence peut être consulté en intégralité sur le blog Debord-Encore*.
Serge Latouche écrit : « Notre imaginaire à l’heure actuelle, c’est l’imaginaire économique, c’est quelque chose dont on n’a pas conscience, nous avons complètement naturalisé cet imaginaire. Pour comprendre l’imaginaire économique qui nous colonisé, je reprends souvent une formule de Marc Twain qui dit que quand on a un marteau dans la tête, on a tendance à ne voir tous les problèmes que sous la forme de clous. [...] Aucune société hormis la nôtre n’était une société économique. Même notre société jusqu’au XVIIIe siècle, ne se pensait pas comme une société économique. / [...] / Notre religion à l’heure actuelle, c’est l’économie. » Concernant la décroissance : « La décroissance comme vous le savez, ce n’est pas un concept, ce n’est pas le contraire de la croissance, c’est tout simplement un slogan médiatique car provocateur, pour casser la langue de bois, le ronron dominant de l’idéologie dominante économiciste, l’idéologie de la nécessité de croître. [...] Bien évidemment si on voulait être rigoureux, il faudrait plutôt parler d’"acroissance", avec ce "a" privatif grec, c’est-à-dire sortir de la religion de la croissance, devenir des athées de la croissance, des agnostiques du progrès, de la technologie et de l’économie. »
Une remarque sur le terme de « décroissance » qui ne me paraît pas très heureux puisque l'on pourrait croire qu'il s'agit d'une croissance à l'envers ; ce qui est absurde. De plus le terme de référence reste la croissance ; alors, puisqu'il est question de « sortir de l'économie », il faudrait peut-être commencer par sortir de la langue de l'économie – « Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde. » (Wittgenstein). Le terme d'« a-croissance » n'est pas plus heureux pour les mêmes raisons – le problème est le même que pour l'athéisme : l’athée est celui qui a encore besoin de nier Dieu.
Anselm Jappe écrit quant à lui : « Je pense d’abord que Serge Latouche et moi sommes d’accord sur le fait que l’économie n’est pas un fait naturel et transhistorique, ce n’est pas quelque chose qui existe depuis toujours. L’économie c’est quelque chose qui dans une époque historique est venu au monde et qui peut donc également disparaître. [...] D’ailleurs Marx au début du Capital ridiculisait l’économiste David Ricardo qui pensait que l’échange était quelque chose de transhistorique et naturel, comme s’il y avait déjà de l’échange entre les chasseurs préhistoriques et les pécheurs préhistoriques. En fait Ricardo, le fondateur de l’économie politique, avait déjà rétroprojeté les catégories de l’économie des modernes sur des sociétés complètement différentes. Marx au contraire, si on en fait une lecture rigoureuse, a bien démontré que les catégories économiques comme le travail, l’argent, le capital, la valeur, sont des catégories spécifiquement capitalistes et modernes. / [...] / En rupture avec cette éternisation de l’économie dans nos vies, c’est-à-dire cette conception de l’économie comme faisant soit disant partie de la nature humaine, il a été très salutaire durant les dernières décennies de voir que pour plusieurs auteurs, l’économie a été quand même quelque chose qui est venu au monde récemment, notamment au travers de la construction d’un discours économique qui est venu s’établir essentiellement au XVIIe siècle. Un des premiers à mettre en avant cela a été l’anthropologue Louis Dumont, mais il y a eu aussi Karl Polanyi, Marshall Sahlins, Marcel Mauss, etc. / [...] / Alors invention de l’économie cela peut signifier deux choses. Invention d’une science et d’un discours, et c’est surtout sur ce thème qu’insiste Serge Latouche dans son ouvrage. C’est aussi la mise en place d’une pratique réelle et je vais essayer de davantage insister sur ce deuxième aspect. Je reprends tout d’abord brièvement le premier aspect. Le discours sur l’économie a émergé essentiellement à partir du XVIIe siècle, et ce n’est pas par hasard, en Angleterre et dans des pays qui vont connaître un peu plus tard la révolution industrielle. De même que la révolution industrielle a été assurément le plus grand changement pour l’humanité depuis la révolution néolithique, on peut dire aussi que probablement la nouvelle conception de l’être humain comme un simple "homo oeconomicus", l’être humain relevant d’un simple être économique, a probablement été le plus grand changement dans la conception de l’être humain depuis l’antiquité. / [...] / Je suis donc jusqu’ici assez d’accord avec l’ouvrage de Serge Latouche, L’invention de l’économie. Ma critique porte essentiellement sur la question qu’il ne suffit pas de changer de définition, de conception, de vision du monde, il ne suffit pas de parler d’invention de l’économie ou de la déconstruire, parce que l’économie n’est pas qu’une affaire d’imaginaire, ou pas seulement. L’économie est quelque chose qui s’est réellement implantée dans nos vies et dans le monde. Et d’une certaine manière le discours économique ce n’est pas quelque chose qui est inventé par des théoriciens qui seraient seulement méchants, il me semble que le discours économique est venu avec un changement dans la pratique réelle. »
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(À suivre)
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