On peut s’étonner que ce film n’apparaisse
pas, même à titre de citation fugitive, dans In girum, ni dans aucun des films précédents de Debord ; pourtant,
on peut dire que si sa présence n’est pas manifeste, c’est peut-être parce qu’elle
s’y trouve comme en filigrane ; et que, même, il y affleure, par moment. Nous avons vu qu’une allusion y est faite
dans le court métrage de 1959, Sur le
passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps,
avec la phrase suivante : « Ils
disaient que l’oubli était leur passion dominante. Ils voulaient tout
réinventer chaque jour ; se rendre maîtres et possesseurs de leur propre
vie. » Dans le film qui est tiré de La Société du spectacle on peut en trouver une autre, plus
indirecte, sous la forme d’un extrait de Confidential
Report d’Orson Welles ; on y voit Arkadin, au cours d’un bal masqué qu’il
donne dans son château en Espagne, raconter
de petites histoires à ses hôtes en portant à chaque fois un toast ; dont
celle-ci : « J’ai rêvé d’un
cimetière où les épitaphes étaient bizarres, 1822-1826, 1930-1934… on meurt
bien jeune ici, dis-je à quelqu’un ; un temps très court entre la
naissance et la mort. Pas plus qu’ailleurs, me répondit-on, mais ici seules
comptent pour années de vie les années qu’a duré une amitié. Buvons à l’amitié ! »
On trouve dans Juliette ou la clef des
songes une séquence qui a également pour cadre un cimetière où le rêveur est
conduit par un habitant du village sans nom, sur la tombe où est sensée être
enterrée la Juliette qu’il est venu chercher, mais qui est introuvable parce
que les sépultures ne portent pas de nom elles non plus. On se souviendra aussi
qu’Arkadin, dans Confidential Report,
est un magnat dont la vie est entourée de mystère, tant pour les autres que pour
lui-même, puisqu’il a perdu la mémoire ; il est ainsi contraint d’avoir
recours à un détective pour retrouver les traces de son passé — en fait son but
est d’éliminer les uns après les autres tous les témoins de son ascension
criminelle que l’enquêteur va retrouver pour lui.
Pour finir, on trouve dans In girum une allusion encore plus
lointaine à Juliette, sous la forme
de deux extraits tirés d’Orphée de
Jean Cocteau qui passent pendant que Debord en voix off évoque sa jeunesse et les débuts de l’internationale lettriste ;
ils sont entrecoupés par une scène de La
Nuit de Saint-Germain-des Prés, elle-même précédée d’un plan fixe montrant Andreas
Baader et de Gudrun Ensslin : « La
plus belle jeunesse meurt en prison. ». Le premier des extraits se
situe au début du film où l’on assiste à une descente de police au Café des Poètes ; la seconde vient
après l’évocation de l’I.L. ; on y voit Maria Casarès — une figure de la
Mort — qui dit, ces paroles énigmatiques : « Les uns croient qu’il pense à nous, d’autres qu’il nous pense ; d’autres
qu’il dort et que nous sommes son rêve, son mauvais rêve. » Cette
séquence se trouve vers la fin du film dont il faut dire quelques mots. Il date
de 1949 — on rappellera que c’est Cocteau qui est venu présenter le film d’Isou
à Cannes en 1951 — et c’est une transposition de la légende d’Orphée ;
Jean marais y incarne Orphée. Pour l’intelligence de la citation qu’en fait Debord,
il faut revenir au moment où Orphée suit la Mort qui ramène un cadavre dans sa
demeure. On assiste au dialogue suivant : « – Suivez-moi Monsieur… Décidément, vous dormez. / – Oui, je dors… c’est très curieux. Enfin, Madame,
m’expliquerez-vous ? / – Rien.
Si vous rêvez, si vous dormez, acceptez vos rêves ; c’est le rôle du
dormeur. » Et plus loin quand Orphée lui demande des explications sur les ordres que la figure de la Mort dit avoir reçus : « – D'où viennent ces ordres ? / [...] / – J'irai jusqu'à celui qui donne ces ordres. » ; elle lui fait cette réponse : « Mon pauvre amour, il n'existe nulle part. »
(À suivre)
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