mardi 26 juin 2012

En marge de : Debord à Venise / 1


Quelques extraits du livre de Françoise Bonardel : Triptyque pour Albrecht Dürer, Les Éditions de la Transparence.


Chapitre VII, L'humeur du sablier

À propos du Saint Georges :

On notera au passage que le dragon n’est dans La Légende dorée tué par Saint Georges qu’après avoir été ligoté par la Princesse. […] / Encerclant les jambes du cheval fermement campé sur ses deux sabots, le monstre darde un regard furieux vers un autre dragon, de plus petite taille, taraudant de sa langue les orbites vides d’un mort dont les ossement gisent éparpillés sur le sol*. C’est entre eux qu’un drame muet paraît se jouer dont Saint Georges tout comme sa monture, semble se désintéresser ou vouloir se détourner. Simple dédoublement iconographique rappelant en deux séquences juxtaposées les méfaits du monstre avant sa capture, semant la désolation dans la contrée avant que le valeureux héros ne vienne l’en délivrer ? Cruelle confrontation du dragon encore vivant, mais d’ores et déjà hors d’état de nuire à son double dévorant ? Les écrits hermétiques circulant parmi les humanistes de Nuremberg — on ne peut pas non plus exclure que Dürer fasse ici une allusion discrète au combat des « natures » fixe et volatile (Soufre et mercure, Roi et Reine), qui en alchimie décide de l’issu finale du Grand Œuvre ?

Dürer, Saint Georges à cheval 
(1502-1503)


[…]

Pressentait-il par ailleurs que la « fixation » du monstre par la lance du saint était en effet beaucoup plus décisive, pour la sauvegarde du monde, que sa mise à mort sanglante ? Une telle vision chère aux alchimistes eux aussi soucieux de « fixer » leur Mercure trop volatil, relevant probablement davantage chez lui de l’intuition spirituelle que d’un ésotérisme savant et conscient.

Saint Georges, fronton de l’église anglicane,
Dorsoduro, Venise
 
____________________

* Cette représentation constitue l'une des enluminures réalisées par Dürer pour Le Livre d'Heures de l'Empereur Maximilien Ier. Françoise Bonardel écrit à son propos : « Tant d’innovations stylistiques recouvrant tant d’ambiguïtés spirituelles conduisent à se demander si dans ce dessin de 1515, le dernier de la série des saints Georges représentés par l’artiste, Dürer n’a pas livré sa vision ultime de l’affrontement salvateur […]. / Rien d’étonnant donc à ce que ce saint George-là ne figure que très rarement dans les rétrospectives artistiques consacrées à ce combat ; d’autres œuvres de Dürer étant à cet égard bien plus conformes à la vision populaire et mythique : la gravure de 1502-1503 [voir supra] surtout, la seule aussi où la présence discrète de la Princesse, à l’arrière-plan rappelle le scenario complet du drame. »


(À suivre)



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire