Que Debord puisse dire dans son film
testamentaire : « Je n’ai jamais bien compris les reproches, qui
m’ont souvent été faits, selon lesquels j’aurais perdu cette celle belle troupe
dans un assaut insensé, ou par une complaisance néronienne. », après avoir
affirmé fièrement : « [J]amais, j’ose le dire, notre formation n’a
dévié de sa ligne, jusqu’à ce qu’elle débouche au cœur même de la
destruction », montre à
l’évidence, comme toutes les scènes de batailles
perdues qui repassent en boucle dans In
girum, que « la destruction » était bien, si ce n’est ce qui était
recherché, du moins ce vers quoi on ne pouvait manquer d’aller — et ce d’autant
plus qu’une victoire était pour le moins improbable.
Nous sommes là au cœur d’une contradiction
insoluble contre laquelle vient butter l’I.S. — Debord reprochaient aux dadaïstes
d’avoir voulu « supprimer l'art
sans le réaliser » — le surréalisme ayant voulu « réaliser l'art sans le supprimer » ;
quant à l’I.S. elle-même, elle ambitionnait rien moins que de « réaliser
la philosophie ». Seulement l’I.S. qui se situe d’emblée après la « mort
de l’art » va se retrouver dans la même position que les dadaïstes :
c’est-à-dire dans l’impasse. Et ce parce que l’horizon dadaïste est
indépassable : il aurait fallu aux dadaïstes une révolution sociale qui avait
eu lieu ailleurs mais qui fut écrasée en Allemagne. Les surréalistes, qui
voulaient dépasser dada, se sont retrouvés dans un cas similaire : une
révolution avait bien eu lieu, ailleurs, dont ils se réclamèrent ; mais,
las !, elle fut trahie — et ainsi ils furent cocus après avoir été
« cocos ». Les situationnistes venant après — « Arriver le
dernier, voici le nec plus ultra de l’avant-garde. » dixit
Janover — en tireront la leçon ; mais ils n’auront eu, au bout du compte,
que la révolte de mai à accrocher à leur boutonnière. Cette décoration aura cependant
suffi à faire leur gloire — avant l’apothéose du « héros »
revendiquée par Alice dans le miroir spectaculaire (le principal défaut du
miroir est qu’il présente une image inversée).
« Part bénie
du surréalisme, l’art devient la part maudite, et les situationnistes
s’inscrivent donc au-delà de l’art. » écrit Janover. Mais cette
« part maudite » — c’est-à-dire l’abandon dédaigneux du coté
artistique non-dépassé — va faire retour dans l’esthétisation de la politique,
dans une esthétique de la révolte qui se soucie plus de la « belle
action », de l’action admirable fut-elle suicidaire, que de construire un
Parti révolutionnaire — ce qui évidemment était plus difficile à faire que d’en
appeler à la formation spontanée de Conseils ouvriers, en dehors de toute
réalité. On n’oubliera pas que le grand modèle de Debord en la matière est
Retz.
(À suivre)
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