Politique
de Retz
– Extraits (suite) :
L’histoire et la politique sont un spectacle,
mais celui-ci présente une double particularité ; il est dépourvu de sens,
dans la double acception du terme : il est à la fois privé de direction et
privé de signification.
[…]
Si le spectacle de l’histoire et de la
politique est privé de sens, ce n’est pas seulement parce que l’auteur est
défaillant, c’est aussi parce que les acteurs sont à des degrés divers
insensés.
[…]
Divers stades du mal peuvent être distingués ;
Retz souligne d’abord « l’extravagance de ces temps où les sots deviennent
fous, et où il n’est pas permis aux plus sensés de parler et d’agir toujours en
sages. »
[…]
Pris individuellement les acteurs […] sont
dans une très large mesure insensés, mais leur réunion en corps collectifs,
bien loin de les ramener à la sagesse, porte au contraire ce défaut à la
seconde puissance.
[…]
En ce qui regarde le peuple, Retz n’a pas une
très haute opinion de ses capacités politiques : c’est qu’à ses yeux le
peuple est avant tout, non seulement amateur de spectacles, mais amateur naïf
et facile à satisfaire.
[…]
[…] en règle générale, le peuple ne sait pas
se gouverner lui-même, et il ne supporte qu’avec beaucoup de peine le
gouvernement d’autrui. Cette contradiction prend des figures diverses. On l’a
dit, le peuple se prend aux apparences, mais comme il a été souvent trompé, il
est dans le même temps devenu méfiant ; du même coup observe Retz :
« Il n’y a rien où il faille plus de précautions qu’en ce qui concerne les
peuples, parce qu’il n’y a rien où il faille plus cacher, parce qu’il n’y a
rien de plus méfiant. »
[…]
L’histoire et la politique sont le règne de
la déraison parce que, pris individuellement, les êtres humains sont insensés,
et que leur réunion en corps aggrave leur folie.
[…]
La raison est par excellence la faculté du
réel ; par elle, nous nous soumettons aux faits pour les ordonner ;
si elle tient si peu de place en politique et en histoire, c’est peut-être parce
que ces deux domaines relèvent, eux, du domaine de l’irréel ; plus
précisément, ils appartiennent à un règne où l’imaginaire triomphe du réel et
où la parole s’avère plus puissante que l’action.
[…]
De fait, comment la Fronde a-t-elle commencé ?
En un premier temps, l’assoupissement des peuples tient à la durée de leur mal « qui
saisit l’imagination des hommes et qui leur fait croire qu’il ne finira jamais ».
Mais sitôt qu’ils aperçoivent une issue, « ils passent tout d’un coup à l’autre
extrémité. […] Bien loin de considérer les révolutions comme impossibles, ils
les croient faciles, et cette disposition toute seule est capable de les faire. »
[…]
Si l’imagination est à la fois puissance et
faiblesse, source de force et créatrice d’illusion, l’acteur politique doit à
la fois se garder lui-même de l’illusion et la produire chez les autres, se
défier de sa propre imagination et s’emparer de celle d’autrui. Cette exigence
s’impose notamment au début de sa carrière : « Le grand secret de
ceux qui entrent dans les emplois est de saisir d’abord l’imagination des
hommes par une action que quelque circonstance leur rende particulière. »
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