Et il lui faut boire à présent le calice
jusqu’à la lie des caves :
« “Jamais ne reviendra le mois de
mai sans qu’on se souvienne de nous.”, prédisais-je dans mon film le plus
célèbre. Sauf qu’en cette pyramide inversée, la bourgeoisie seule se réclame de
mon nom. […] Ce que nous appelions de nos vœux comme au-delà des plus extrêmes
utopies s’accomplit par la gent huppée, dans un monde éphémère ayant banni tout
immuable, avec les catégories idéales des traditions qui le fondait. Combien de
parcs d’attraction ludiques, aux décors et ambiance révolutionnant la vie
quotidienne par des dérives passionnantes ! Combien d’audacieux
détournements dans l’industrie publicitaire ! Combien de transformations
du spectateur en acteur ! Combien d’abolition des médiations !
Combien situationniste ce monde ! De l’air !... / […] / Dans cette
éternité de ténèbres, un éclair zigzague sur les murailles en ruine du réel.
Ai-je encore ma place au milieu des cadavres de la grande ville ? »
« “Ils
sont quelque part entre l’Achéron et Léthé ces morts qui n’ont pas été
régulièrement enterrés par le spectacle”… Les paroles du Gloria, célébrant en latin les plus
hautes félicités divines, retentissent en moi comme un De Profundis. D’où vient de me remonter aux lèvres la phrase que je
viens de citer, tirée de mes Commentaires
sur la société du spectacle… » Mais Debord ne vient-il pas justement
d’être enterré en grandes pompes par « le spectacle » ?
Du barzakh
où il se désintégre, le spectre termine son improbable confession :
« Dans ce livre de méticuleuse désinformation, promptement promotionné par
Philippe Sollers, toutes les plus viles intrigues de notre monde paraissent
recevoir un éclairage d’origine céleste ; autant que les manigances
dérobées au regard des mortels par ces buées dont s’entourent les sommets du
pouvoir sont percés à jour par une vision ne pouvant surgir que des entrailles
révolutionnaires. Ceci pour établir une identité fallacieuse entre le pouvoir à
Cuba et la mafia à Panama… »
Las ! « Ma théorie se condamnait à
l’insignifiance pour s’être arc-boutée sur une idée de la totalité léguée par
la théologie, puis par la philosophie classique, sans s’être donné les moyens
d’explorer les contrées du négatif autrement que par ouï-dire. J’ai colporté
jusqu’à la pourriture du troisième âge une image de la rébellion juvénile
supposée guider le combat des damnées de la terre, ne faisant qu’illustrer la
notion convenue de “bourgeois bohème” déjà raillé par Marx. Toute l’idolosphère
en fait aujourd’hui sa matière première, nulle propagande publicitaire ne se
concevant plus sans référence à nos manières subversives d’il y aura bientôt
cinquante ans. »
É
finita la commedia.
Vraiment ? « Tiens ! Voici qu’au Gloria de Vivaldi succède le dernier tube de Carla Bruni, dont les paroles – je n’invente rien –
évoquent son mari, le très situationniste Nicolas Sarkozy : “Il manie la
dialectique quoi qu’en disent les bouffons…” » Ce n’était qu’une
bouffonnerie.
À reprendre depuis le début, donc.
A L'ATTENTION DE M. XAVIER LUCARNO
RépondreSupprimerBonjour,
Permettez-moi de vous remercier pour la pertinence et la lucidité des sept textes (Lectures - Confession) publiés à l'enseigne de Memento Mori.
Ce précieux éclairage mériterait peut-être d'être accompagné d'une confidence que je vous livre ci-joint.
Très cordialement, dans l'espoir de vous rencontrer quelque jour à Paris ou à Bruxelles.
A.A.
Confidence à propos d'une Confession
Un jeune homme pauvre tue une petite vieille pour lui voler ses économies, non sans crise de conscience. Le compte-rendu minutieux de ses débats intérieurs n'a d'intérêt qu'en n'oubliant pas la manière dont ces confessions s'inscrivent dans un tissu romanesque, lequel ne se résume pas aux pensées de Raskolnikov. La racine de ce nom signifiant " rupture ", un autre célèbre raskolnik, un siècle après Dostoïevski, vient d'être le sujet d'une Confession littéraire absolument hérétique aux dogmes de la modernité dont il s'était voulu le pontife.
Quelles que soient les réflexions posthumes d'un tel personnage, tout lecteur est invité par le récipiendaire de son témoignage à prendre en considération première les situations servant de cadre à ce Confiteor. Pourquoi le décor du métro de Paris, comme ces références à l'Atlantide ? Si l'on garde en mémoire qu'un roman prisé par Debord, tel Au-dessous du volcan, se voulait une transposition de Crime et Châtiment qui n'aurait pas négligé l'hypothèse d'une Rédemption, nul ne devrait sous-estimer la dimension fabuleuse - imaginale - d'un livre placé sous le signe de Shéhérazade. Celle-ci, par sa présence poétique, rompt le monologisme du discours exclusivement théorique et révèle, par la voix de l'intéressé lui-même, que sa propre réfutation ne pouvait trouver " plus beau et plus vaste terrain " que la scène d'un authentique spectacle : celui proposé par ce théâtre de l'Atlantide.
Anatole Atlas