Stéphane Zagdanski, Guy Debord et la diffraction du temps, Gallimard (208)
À propos des banlieues — les
« rats » apprécieront : « […] les casseurs sont désormais
aussi concrètement infâmes et abrutis que les flics qu’ils affrontent. Des rats
humains remuent au fond des poubelles qui leurs servent d’habitat, et se
rebelles quelques secondes contre des chiens humains chargés de les surveiller
et punir. / Bâtir ? habiter ? penser ? Brûler, croupir, grogner. »
À propos des années 60 : « Elles
furent en réalité d’une consternante misère suffisamment incarnée par le
phénoménal succès planétaire du rock and roll, cette sous-musique de foire. Que
valent les facéties d’un Bob Dylan en comparaison de la grâce absolue de
Theolonious Monk ! Comment supporter les fadaises acidulées des Beatles
quand on a goûté l’écrasante élégance du quartette de Coltrane ! Le standard
Yesterday de Jerome Kern, joué par
Wes Montgomery l’année même où McCartney sort son indigent Yesterday, démontre impitoyablement la supériorité du jazz sur le
rock, aussi définitivement accablante que celle d’une gorgée de Romanée Conti
sur une goulée de Cuba libre. »
Ah ! le petit Romanée Conti qu’on boit entre amis sur les banquettes des
Deux Magots ou de La Closerie des Lilas.
À propos du style (debordien) :
« Le style révolutionnaire combat le langage de l’idéologie par un
potlatch du verbe, dilapidant la munition des mots, usant des mots, des
concepts et des théories comme d’armes de guérilla, les rendant économiquement
irrécupérables en les raffalant qu cœur de la vaste cataracte du monde. »
À propos du : Ne travaillez
jamais ! : « Le désormais fameux jamais de Debord n’est pas un nevermore ;
c’est un murmure tam-tamé sur un mur, un dard empoisonné fiché dans l’épiderme
du temps spectaculaire. »
À propos de la puissance formidable du verbe debordien : « Quelques mois seulement
après que La Société du spectacle a
rencontré ses audacieux lecteurs, la vitrine du temps qui maintient la vie sous
vide va momentanément éclater sous une volée de pavés hilares. »
Debord « kabbaliste (heideggérien) de la
nuit » : « Il y a, profondément ancré en Debord, une passion
pour l’Ereignis, un puissant désir de
faire advenir une face inédite du temps — sa face pluriel de plénitude :
ce que le midrash nomme pour sa part «“les soixante-dix visages de la Thora” —,
par opposition à “el rostro vano del
tiempo” — le visage vide et vain du temps — que Debord évoquera dans une de
ses chansons conçues en 1980 pour soutenir les libertaires emprisonnés à
Ségovie. »
À propos d’In girum : « Le labyrinthe du titre est donc aussi le
lieu de sa retraite en vue d’une contre-offensive ; car la consomption
tournoyante des ténèbres se renverse, conformément au mode du palindrome, pour
devenir l’éclat inapparent qui fourbit ses scintillations en se drapant
d’obscurité. » Est-ce assez clair ?
Sur le vilain Spectacle : « Hélas
le Spectacle n’est pas une fiction pour enfants, et les fieffés bouffons
bâfrant au râtelier ne se bidonnent guère. »
Vu de la Pointe : « Je trace ces
ligne au soleil, à la pointe du Vert-Galant au mois d’avril. / Bientôt le petit
peuple des pupazzi se choisira un nouveau maître pour le surplomber de ses
palabres délabrées. Gourde Guindée ? Gredin Galvanisé ? Aucune
différence. Après tant d’autres, l’élu des zombies réitérera la déréliction où
croupit ce siècle décharné qui succède si dignement à celui des charniers. »
Pour finir, un dernier coup de brosse au
Vert-Luisant : « Qui sut comme Debord envisager son temps, et le
Temps, avec une si extraordinaire sagacité, ne saurait être jugé que par
lui-même, ni apprécié qu’à la lumière de ce que d’autre génies ont formulé
véridiquement au cours siècles. » — et des siècles. Amen.
Allez hop, un petit coup de Zagdanski pour se remonter le moral ! mais quoi que vous pensiez de lui, il vous ressemble car vous êtes tous deux, laudateur ou contempteur de Debord, des commentateurs inoffensifs.
RépondreSupprimerCependant votre cas semble un peu plus désespéré puisque vous ne parvenez pas à vous faire éditer…
Quelle pitié !