On
a aussi là une explication du
comportement du « dernier » Debord et de sa volonté de réécrire
l’histoire situationniste à son seul profit : « Ainsi, il n’est pas
exagérer de dire que, à partie de ce moment, il a commencé à minimiser
systématiquement le rôle joué par tous les autres membres du groupe. Il en est
résulté qu’il n’y eut plus de place autour de Guy que pour des médiocres et des
opportunistes, qu’il lançait, de façon aventuriste, contre ceux qui avaient été
excellents. Cela a eu des conséquences évidentes, même après sa mort, dans le
gros travail fait par Alice (je dis “gros” dans le sens du volume). Une des
conséquences de cette dégradation est les livres pathétiques écrits à la gloire
de Guy : les biographies de sycophantes et les pseudo-histoires
supervisées de l’I.S. par une multitude d’“historiens” révisionnistes et par
d’impécunieux « philosophes », professeurs, journalistes, etc., qui
ont accepté d’être menés, flagellés et censurés par Alice. […] Rien de tout
cela n’est arrivé par hasard : cela a été voulu et promu par Alice, mais,
avant cela, par Guy. » Voilà qui a le mérite d’être clair.
Parmi
les « médiocres » et les « opportunistes » qui entouraient
le dernier Debord Sanguinetti s’en prend particulièrement au « petit
soldat » Martos. Je laisse à Sanguinetti ses inimitiés qui ont leurs
raisons que l’on peut comprendre. Martos faisait partie de ces gens qui ont
recherché Debord parce qu’ils l’admiraient et qui ont fini par être admis dans
son entourage : ils sont devenus des fidèles. Debord ne s’est pas privé de
les utiliser à diverses tâches pas toujours reluisantes sans qu’ils trouvent à
y redire. Il y a cependant des limites à la fidélité. Quand Debord, manifestement
en plein délire paranoïaque, s’en prend violemment et injustement à un autre de
ces fidèles, qu’il traitait la veille encore en « ami » et qu’il
rabaisse au niveau de l’insecte pour mieux l’écraser, Martos, qui est pourtant
l’ami proche de celui-ci, préfère donner raison à Debord : il y a aussi
des limite à l’amitié. On peut toujours excuser ce genre d’excès en le mettant
sur le compte d’un mouvement d’humeur. Il n’empêche. Dans ce que précis la
réaction furieuse de Debord fut déclenchée
par une révélation* que le génial « inventeur du spectacle » prenait
pour une accusation.
*
Je
m’en tiendrais là pour ce qui concerne cet aperçu. Le lecteur pourra se reporter
à l’original en ligne — il lira également avec profit le très instructif mémorandum
de Sanguinetti consacré au Doge :
La
longue lettre de Sanguinetti à Khayati constituait une contribution à la
rédaction d’un texte de mise au point sur la manière dont Alice Debord a révisé l’histoire situationniste.
Khayati écrivait : « La Note à propos d’Alice pose un problème plus
général qui m’a tracassé quelque temps, qui est de connaître le degré de
responsabilité de Debord dans ce qu’elle à fait ! / Guy prévoyait tout,
calculait tout, et Alice a seulement exécuté – à sa manière, certainement – ce
que le maître avait projeté. »
Mais
cette lettre est surtout un des rares témoignages de l’intérieur ; c’est-à-dire de quelqu’un qui a été un proche :
le « frère d’arme » de Debord. Ce témoignage
est doublement intéressant parce qu’il constitue aussi un jugement**. On ne peut qu’encourager la publication de ce genre de relations
qui permettront de multiplier les points de vue là où, jusqu’’à présent, le
tableau ne s’organisait que selon le point de fuite autorisé par la perspective
classique. Peut-être pourra-t-on passer alors de la « légende dorée »
à une histoire digne de ce nom.
____________________
*
C’est la fameuse « affaire Anders » dont Voyer à fait ses choux gras.
Je renvoie le lecteur à son site où tout cela est exposé dans les moindres
détails.
** Il y a un problème Debord ; mais il
est sans solution — même dans l’alcool. Il réside dans le fait qu’on ne peut
pas juger Debord. Même selon ses propres critères puisqu’il a récusé par avance
tout jugement. Ce qu’exprime sans détour, dans son Panégyrique, la définition du Littré qu’il place en exergue :
« Le panégyrique ne comporte ni blâme ni critique. » À la limite, c’est à lui seul qu’il reviendrait
d’être son propre juge et critique. C’est d’ailleurs ce qu’il avait projeté de
faire dans un pamphlet ad hoc
intitulé : Les Erreurs et les échecs
de M. Guy Debord par un Suisse impartial — dont le Catalogue de
l’exposition de la BnF donne des extraits. Et cette « critique » devait
prendre la forme d’un panégyrique à l’envers.
Ce qui est tout de même important dans ce texte, c'est qu'on y apprend que Sanguinetti a répondu à Debord (contrairement à ce que tout le monde croit depuis plus de trente ans) ; et que leur correspondance a paru tronquée aux Éditions Champ libre.
RépondreSupprimerLa correspondance Champ Libre est effectivement une correspondance tronquée — comme c’était le cas de celle de Voyer / Lebovici. Elle incite le lecteur à penser qu’après avoir essayé de contredire Debord de façon inconsidérée sur l’affaire Moro, Sanguinetti aurait fait amende honorable pour se ranger finalement à l’avis de celui-ci. La lettre de Sanguinetti apporte un démenti à cette version où c’est Debord qui a évidemment le beau rôle. Là aussi on peut faire rapprochement — toute proportion gardée — avec ce qui est arrivé à Voyer.
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