mercredi 8 janvier 2014

Lyon à la dérive / 1



Le Nom de Lyon* – Extraits :


Autant que nous l’habitons, le lieu où nous sommes nés et où nous vivons nous a fait naître et nous habite. ; il est notre premier théâtre de mémoire, ils s’accroit de nos rêves et le pas qui donnent à l’étendue sa mesure s’y recoupent dans les âges pour un appel des traces et des ombres.

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C’est à tort, du reste, que l’on parle de souvenirs comme s’il en allait de la seule lumière d’un ancien ciel, quand il s’agit d’îles toujours présentes, de blocs de durée à la dérive, contemporains d’une histoire qui ne s’achèvera qu’avec nous : la vie comme une énigme, l’image qui s’en détache et qui, inentamée, à l’improviste, une nouvelle fois nous aborde.

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Un nom toujours entendu rassemble des ombres qui nous engagent, muant un quartier de ville en un théâtre de mémoire, architecture sonore non plus destinée à l’exposition d’un système de savoirs mais, sur le mode de l’intime, dépliée comme l’enregistrement dans l’espace de la première connaissance de soi.

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[B]ien que par sa fonction de communication l’espace urbain accueille naturellement tous les modes de déplacement et qu’un plaisir de découverte s’associe à chacun d’entre eux, il ne se livre qu’à celui qui le parcours à pied. De multiples capteurs sont alors activés et un obscur ressort, attaché à traduire chaque influx selon son code, règle quasi mécaniquement le rythme de ma marche quand celle-ci obéit au seul besoin de flâner.

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Quand bien même nous aurions la certitude d’avoir exploré au fil des ans chacune de ses rues, il est bien rare que nous connaissions un quartier dans ses moindres recoins. Passé le stade des reconnaissances, nous ne faisons le plus souvent que revisiter nos traces. La durée agit comme un crible, les retours dessinent un partage : entre esquives et rendez-vous, ils détourent un profil d’autant plus probant qu’il ne fut pas prémédité.

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Comment, selon la même pente, la ligne d’une vie et celle d’une ville en viennent-elles à se rejoindre ? Les rêves le savent, les escaliers, les passages du rêve et la lumière qui de ce côté du monde sourd de la présence même des choses – avec sa fuite de l’horizon, ses jardins, ses dévalades, sa place si semblable à la cité dont jamais nous ne tiendrons en main le plan et que ne signale aucune carte. Là où rendu à l’immobilité, pensées noires et blanches réversibles, on se tient devant la loge invisible.

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Rien de plu naturel que de voir la ville qui est la nôtre ressurgir dans les fantaisies que libère le sommeil. Rien même de plus banal quand un lieu ordinairement sans relief fait office de toile de fond. La plupart des rêves bricoles avec des restes. Mais il en est qui développent des variations ou opèrent par collage pour dessiner une géographie fantastique qui ne s’oublie plus – de ces rêves dont le contenu manifeste sert de révélateur à la ville latente. Pour qui est attentif à son activité onirique, la vie nocturne, quoique constante, se manifeste comme une succession de creux et de vagues.

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* Gilbert Vaudey, Le Nom de Lyon, Christian Bourgois Éditeur.


(À suivre)

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