Du
début du XIXe siècle à la seconde guerre mondiale, c’est-à-dire dans
la période qui s’ouvre sur le romantisme et se referme avec le déclin des
avant-gardes historiques, la plupart des grands courants artistiques et
littéraires ont formulé, à côté d’un programme de renouvellement esthétique et
culturel, une critique des conditions de vie qui avaient cours à leur époque.
Cette critique a pu être, selon les cas, implicite ou explicite, se lier à des mouvements
de masse et des organisations politiques révolutionnaires, ou au contraire se
réfugier dans des formes subjectivité solitaire et révolté. Le mouvement
situationniste fait à la fois continuité et rupture avec cette histoire, dans
le sens où il procède à une fusion de l’esthétique et du politique.
*
Et,
de fait, si les situationnistes ont procédé […] aune critique intransigeante de
la modernité capitaliste, ils ont aussi été, à bien des égards, de purs
produits de l’« esprit moderne ». Ils en ont partagé la volonté de
rationalisation, l’idéal de domination de la nature, la fascination pour les
progrès de la science et de la technique. Devant le caractère absolument
déraisonnable de la vie organisée selon les lois de la marchandise et de l’État,
et en opposition aux surréalistes qui s’étaient servis de l’irrationnel pour « détruire
les valeurs logiques de surface » de la socioété de leur temps, les
situationnistes ont ainsi mis en avant la nécessité de « rationaliser davantage
le monde, première condition pour le passionner ». Pour ce faire ils
étaient notamment convaincus que les personnes désireuses de construire le
cadre d’une vie quotidienne libérée seraient contraints d’employer les « forces
déclenchées par la progrès technique, dont un nouveau tournant décisif s’est amorcé ».
En disant cela, les situationnistes étaient pleinement conscients de s’inscrire
dans la continuité de la pensée des Lumières, avec son rationalisme militant et
sa critique des religions, appuyés sur l’évolution rapide de la science et de
la technique : Debord insistait sur l’importance du XVIIIe
siècle comme « moment où le développement atteint par les techniques et la
pensée scientifique commence à faire dominer l’idée que notre milieu est
transformable selon nos desseins ». La critique du spectacle était d’ailleurs
un aboutissement de ce rationalisme militant, dans la mesure où elle
considérait le spectacle comme une résurrection du phénomène religieux dans les
modes de socialisation propres au capitalisme avancé.
*
Les
situationnistes, en ce sens, participèrent bien de ce mouvement d’acculturation
de l’art à la technoscience dont témoignaient la plupart des avant-gardes de la
seconde moitié du XXe siècle, comme l’a fait remarquer Paul Ardenne.
Et leur critique de la dimension technocratique du capitalisme avancé, tout en
s’inspirant des réflexions de Cornélius Castoriadis ou de jacques Ellul, ne
remonta jamais comme chez ces derniers jusqu’à une remise en cause approfondie
de la science et de la technique modernes en
elles-mêmes.
*
[…]
dans la théorie critique comme dans la pratique révolutionnaire, le projet de l’I.S.
fut bien de procéder à une « Aufhebung »
de l’opposition tradition-modernité. / Mais cette « Aufhebung » a-t-elle été effective ? La question reste en
effet posée de savoir si le romantisme sous-jacent à la démarche situationniste
n’a pas joué dans leur analyse du monde contemporain le rôle d’un contenu
latent qui sapait son contenu explicite « moderniste ». Le fait que
le groupe se soit ouvert dans ses dernières années à des problématiques écologiques comme la pollution
, ou la remise en cause d’une science et d’une technique « aliénées »
[…] tend à confirmer cette hypothèse, de même que le parcours de plusieurs
ex-situationnistes après l’autodissolution de l’I.S. en 1972.
[Ces
extraits sont tirés de la contribution de Patrick Marcolini à : Une Autre histoire des « trente
glorieuses », La Découverte. Je les commenterai ultérieurement.]
Alice Becker-Ho publie un nouveau livre en mars 2014 : "Le premier ghetto ou l'exemplarité vénitienne" (éditions Riveneuve).
RépondreSupprimerJ’en suis bien aise. D’autant plus qu’elle est désormais aux premières loges dans son palazzo vénitien acquis grâce aux bonnes affaires qu’elle a pu faire ces derniers temps.
SupprimerQui va hériter de la fortune d'Alice Becker-Ho ? L'État ? Ce serait le comble !
RépondreSupprimerIl faut saluer la générosité de Debord envers sa femme : il ne l'a pas laissée dans la misère. C'est dit sans ironie.
RépondreSupprimer