On peut dire de Debord qu’il est arrivé à la
notoriété de Breton en détournant la méthode de Nougé — qui reste quant à lui toujours
largement méconnu. On a pu définir Paul Nougé comme « comme un penseur ignoré,
un poète méconnu et qui a tout fait pour l’être, un militant communiste sans
carte du parti, manipulateur tirant les ficelles dans l’ombre pour une grand dessein
qui n’a sans doute pas donné les résultats escomptés ».* On ne peut certes
pas dire de Debord qu’il est « un penseur ignoré » et qu’il « a
tout fait pour l’être » ; mais qu’il ait été un « manipulateur
tirant les ficelles dans l’ombre pour une grand dessein qui n’a sans doute pas
donné les résultats escomptés » est assez pertinent en ce qui le concerne.
On sait que Debord a connu Nougé à une
période clé de son parcours, à savoir celle de l’internationale lettriste ;
et qu’il a certainement été marqué par la personnalité de Nougé. Jérôme Duwa
écrit à ce propos : « Debord a 23 ans en 1954 et aussi rétif soit-il alors et rétrospectivement à toute
forme de respect […] il ne pouvait pas ne pas reconnaître en Nougé ce type d’individualité
seigneuriale faisant d’emblée fortement contraste avec les “ambitions limitées”
(Potlatch, n° 2, 29 juin 1954) et les
gesticulations prophétiques d’un Jean-Isidore Isou. »** Le fait que Debord
ne fasse pratiquement plus référence à Nougé par la suite*** peut être analysé a contrario plutôt comme une marque de
son intérêt pour la personnalité singulière de celui-ci dont il adaptera la
méthode pour son propre compte — ce qu’il lui fallait occulter — que comme le signe
d’un désintérêt de sa part.
____________________
* Geneviève Michel, Paul Nougé, La réécriture
comme esthétique de l’écriture, Thèse de Doctorat, que l’on peut lire à l’adresse
suivante :
**
Surréalistes
et situationnistes, Vies parallèles, Édition Dilecta.
*** Geneviève Michel, op. cit. : « [D]ans tous les numéros de l’Internationale situationniste, Nougé n’est
cité qu’une seule fois, pour signaler que son idée de de poème-jeu de cartes, Le Jeu des mots et du hasard, a été
plagié par Marc Saporta. »
(À suivre)
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