Il
fut un temps camarades, / où nos pieds enfonçaient dans la terre comme le fer à
charrue / la sève nous prenait pour un arbre, y montait / les oiseaux nous
prenaient pour des toits, s’y nichaient / et la femme venait à nous, nous
prendre la semence / pour en faire je ne sais quoi – / Étions-nous donc des
dieux ?
Il
fut un temps camarades, / où le sanglot des hommes monta jusqu’à nos reins / le
fruit était-il donc véreux ? / le mal était-il incurable ? / Ah, il
fallait jeter des ponts sur les rivières / arracher le secret aux herbes, aux
entrailles / des choses – / inventer, oublier des quantités de choses ! /
Si ce monde est mauvais que de mondes / à naître ! Nous y pourvoirons.
Il
fut un temps camarades, /où nous nous sommes usés au monde, / où nos regards en
y entrant se sont tordus comme clous /
la vieillesse, la solitude, / savez-vous ce que c’est ? et l’affreuse
nouvelle / qu’on meurt sur les saisons ? / Allez, allez, il faut s’agripper
à la vie ! / Et la vie s’est effondrée / comme un plancher pourri / et la
noce des jours est tombée dans la cave / avec ses musiciens aveugles…
Je
ne songeais pas, camarades / qu’un jour nous referions ce voyage d’Ulysse / les
bourses vides. Il fut un temps / où nous
ne songions pas que notre soif des hommes / et notre soif d’éternité / ne
ferait plus qu’une poignée / de fiente, à peine chaude/ – d’oiseaux.
Benjamin
Fondane, Ulysse (in Le Mal des fantômes), Verdier poche.
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