[Il
faut rappeler que Patrick Marcolini est l’auteur du Mouvement situationniste, Une
histoire intellectuelle, L’Échappée, qui est sans doute le meilleur livre
paru à ce jour sur le sujet.]
Dans
le paragraphe introductif de son article : Les situationnistes face à la
modernisation du capitalisme (Une autre
histoire des « trente glorieuses », La Découverte.), Patrick
Marcolini parle, à juste titre, de la « fusion
de l’esthétique et du politique » qui caractérise l’I.S. Il faut cependant
ajouter que cette « fusion » — qui se retrouve à différents degrés
dans les autres avant-gardes qui l’on précédée — va être remise en question. Au
début des années 60 Debord décide d’une réorientation stratégique de l’action
de l’I.S. qui privilégie désormais le domaine de la politique révolutionnaire
au détriment de celui de l’art et de la culture considéré comme épuisé. Il faut
bien voir que cette nouvelle orientation — qui va se traduire dans l’I.S. par
la « liquidation » des artistes — ne peut en aucun cas être
considérée comme un « dépassement » ; mais elle va entraîner une
opération de transfert qui se traduira précisément dans l’esthétisation de la
politique révolutionnaire — opération qui a été aussi un manière de « sauvetage »
de l’activité artistique abandonnée qui se retrouve dans l’« esthétique de
la révolte » qui assurera à l’I.S. un pouvoir de séduction qui faisait
assurément défauts aux autres organisations révolutionnaires ; et qui
assurera son succès.
Marcolini
oppose la critique des surréalistes et celle des situationnistes qui
contrairement à ceux-ci qui « s’étaient servis de l’irrationnel pour “détruire
les valeurs logiques de surface” », ont « mis en avant la nécessité
de “rationaliser davantage le monde, première condition pour le passionner” »
et donc le bouleverser. Il ne faut
cependant oublier que les surréalistes — et Breton au premier chef — furent la
grande référence de Debord et des situationnistes : ceux dont il fallait
se démarquer avant de les dépasser. C’est pourquoi Debord choisit
de prendre le contrepied de l’option « irrationaliste » qui était la leur
et de miser, au contraire, sur une rationalisation supérieure du monde pour le battre
sur son propre terrain. Mais ce faisant, il a dû se faire le propagandiste d’une
modernité bien comprise qui ne pouvait cependant faire l’économie d’une révolution
pour se mettre en place. Mais puisqu’il ne s’agissait, en somme, que de promouvoir
un bon usage de science et de la technique, il ne pouvait y avoir de la part de
l’I.S., comme le note Marcolini, de « remise en cause approfondie de la
science et de la technique modernes en
elles-mêmes » — il faudra attendre pour cela les épigones tardifs de l’Encyclopédie
des Nuisances.
Évoquant
la volonté de « dépassement » qui fut l’obsession de Debord et de l’I.S.,
Marcolini rappelle que « le projet de l’I.S. fut bien de procéder à une
« Aufhebung » de
l’opposition tradition-modernité » ; et il se demande : « cette
“Aufhebung” a-t-elle été
effective ? » La réponse est à l’évidence : non. Marcolini se
pose la question de savoir « si le romantisme sous-jacent à la démarche
situationniste n’a pas joué dans leur analyse du monde contemporain le rôle
d’un contenu latent qui sapait son contenu explicite “moderniste” ». Mais
le romantisme révolutionnaire de l’I.S. — qui peut paraître paradoxal — n’était
pas « sous-jacent » à un « contenu explicite “moderniste” »,
dans la mesure où il était la contrepartie nécessaire de ce « modernisme »
délibérément choisi qu’il ne pouvait donc pas « saper ». De fait cette
option qui consistait à s’engager dans une course de vitesse sur le changement
avec le pouvoir, s’est révélée être l’erreur stratégique majeure des
situationnistes — et donc de Debord. Il ne pouvait pas y avoir là de
dépassement parce que, en tout état de cause, c’est la technique de par sa nature même qui prescrit l’usage
que l’on peut en faire. L’opposition tradition-modernité était donc insurmontable ;
et l’I.S. était condamnée à rester cantonné un romantisme révolutionnaire impuissant
ou à disparaitre — ce qu’elle a dû se résoudre à faire ; mais on ne peut
pas parler ici d’« autodissolution : Debord a dû finalement se résoudre
à liquider lui-même une I.S. en bout de course parce que c’était la seule chose
raisonnable à faire.
L'I.S. n'était pas parfaite, elle a parfois dit des conneries. Constant aurait dû être exclu en raison de la laideur de ses maquettes. C'est bien possible. Là n'est pas vraiment le problème.
RépondreSupprimerLes analyses a posteriori des stratèges subventionnés à la Marcolini n'ont pas un grand mérite. Il est facile, après la bataille, de pointer les insuffisances de ceux qui ont combattu et de leur faire la leçon. Mais la vérité, c'est que Debord a fait ce qui lui a plu, en homme libre. Et lorsque la discipline de groupe qu'impliquait l'IS l'a fatigué, il la liquidée. Est-ce que cela aurait changé quelque chose à quoi que ce soit si l'IS s'était attaqué à la technique de façon plus approfondie, en somme, si elle avait été sur la ligne de l'Encyclopédie des Nuisances dès les années 60 ? Bien sûr que non.
Et puisque Marcolini est si malin, pourquoi ne fonde-t-il pas sa propre avant-garde ? Avec ses talents d'analyste, il devrait parvenir sans trop de peine à de meilleurs résultats que ceux obtenus par Debord.