samedi 29 juin 2013

Lectures – Misère de la pensée économique



Paul Jorion, Misère de la pensée économique, Fayard. Extrait du chapitre intitulé : Pourquoi la « science économique » n’existe pas*

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Dans Le capitalisme à l’agonie, je parle de Karl Marx en l’appelant « celui dont on a effacé le nom »** (Jorion, 2011 : 227). Bien sûr, on sait encore qui il est, mais je parle là essentiellement de lui dans le cadre de la « science » économique, et il est vrai qu’on y a effacé son nom pour une raison bien simple : parce qu’il avait eu le mauvais goût de compléter sa réflexion économique par un projet révolutionnaire.
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Marx avait commis deux impairs lourds de conséquences : d’une part il avait affirmé que le capitalisme était mortel ; d’autre part il s’était placé à la tête d’un projet révolutionnaire visant à le renverser. Aussi fit-on barrage du côté des milieux financiers et on facilita la vie à quelques volontaires, les grands penseurs du début de la pensée économique, « marginaliste », devenue aujourd’hui la norme : les Stanley Jevons (1835-1882) en Grande-Bretagne, Carl Menger (1840-1921) en Autriche, Léon Walras (1834-1910) en France et en Suisse, prêts à démontrer que le capitalisme était invincible, et disposés à bâtir une « science » économique fondé sur ce postulat. […]
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Les marginalistes rétréciront le champ de l’économie politique pour en faire une « science » économique où tout ce qui posait jusque-là problème et requérait une explication à la hauteur du caractère fondamental de la question posée en serait exclu. Ainsi la répartition du patrimoine et la redistribution de la richesse nouvellement crée seraient considérées comme de simples données, puisque découlant de la propriété privée décrétée, elle, « fait naturel » ; de son côté, la « lutte des classes » ne serait rien d’autre qu’une expression de ressentiment de la part de ceux qui se révèleraient incapables de comprendre le phénomène, lui aussi naturel, de la division du travail.
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Ce qui a été bâti au cours de plus d’un siècle et demi de « science » économique n’a pas grand-chose à voir avec une science à proprement parler et – sous couvert de mimer cette branche de la physique, née au XVIIe siècle, qu’on appelle la mécanique, dont l’astronomie est le principal champ d’application – a constitué en réalité un système de croyance fermé, bien plus proche d’une religion que d’une science, en raison de son caractère dogmatique.
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Le capitalisme étant immortel selon la « science » économique, tout signe de son effondrement est illusoire et ne peut consister qu’en une lecture incorrecte de la partie basse d’un cycle qui ne peut être suivie que par le retour de sa partie haute : quoi qu’il advienne, le retour à la normale interviendra à terme. Quant à la survenue de cette partie basse d’un cycle, elle relève, comme je l’ai annoncé, d’une cause unique : les interférences de l’État dans l’économie et la finance. / La « science » économique produite de 1870 à nos jours interdit l’éventualité de sa réfutation. Il ne s’agit pas, chez elle, de théories dont la vérification relève de la méthode expérimentale, mais d’un dogme dont las propositions ne disparaîtront qu’avec elle. […]

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* Voyer répondrait : fastoche ! Parce que « l’économie n’existe pas », of course. Il est trop fort ce Voyer.

** On rappellera aussi que les « Amis de Guy et de l’Internationale réunis » ont eux aussi essayé d’effacer le nom de Voyer de l’histoire situationniste — et qu’ils n’ont pas trop mal réussi, jusqu’à présent ; ça ne durera pas toujours.


(À suivre)

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