Revenons
à l’entretien avec Raoul Vaneigem dont j’ai donné un extrait choisi. Dans son
appréciation de mai 68 et du rôle qu’y a joué de l’I.S., on constate qu’il est
sur la même ligne que Debord — notamment dans la relation que celui-ci en fait
dans le dernier numéro d’I.S. — en
prétendant que les situationnistes ne furent rien moins que le
« détonateur de l’insurrection ». Cette survalorisation est assez
caractéristique de la réécriture de l’histoire de l’I.S. dont la « légende
dorée » compilée par Jean-François Martos constitue le modèle achevé. Le
livre avait d’ailleurs été commandé et supervisé par Debord lui-même. Vaneigem
parle des « [c]inqante années de mensonges » qui auraient eu pour but
et pour conséquence d’oblitérer le rôle déterminant de l’I.S. dans l’explosion
de mai 68. Pourtant l’I.S. ne fut que l’une des composantes de l’insurrection.
Elle a certes appelé de ses vœux cette « révolution » dont elle avait
exprimé les idées et les revendications de longue date ; mais le « soulèvement
de la jeunesse » de ce temps a été un mouvement général, une vague sur
laquelle les situationnistes ont surfé eux aussi mais qu’ils étaient bien
incapable de créer. On peut dire que mai 68 est arrivée — ce fut véritablement
un événement — à point nommé pour une
I.S. qui était visiblement en bout de course. Tout l’art de Debord a consisté
par la suite à présenter et à défendre la thèse selon laquelle l’I.S. avait fait son temps et qu’elle pouvait donc disparaître
avec la (bonne) conscience du devoir accompli parce que désormais les
situationnistes étaient partout. C’est là une inversion complète de la réalité
parce que, à ce moment-là, les situationnistes n’étaient même plus dans l’I.S. —
c’est d’ailleurs pour cela que Debord a dû se résoudre à liquider finalement son
organisation.
(À
suivre)
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