Pour cela, il faut répertorier les différents
niveaux de lecture d’In girum. Le
premier, et le plus évident, c’est celui qui présente l’histoire de l’I.S. et de
son leader. Il a déjà donné lieu à de nombreux commentaires et appréciations
diverses sur la manière dont celui-ci a mené l’action de celle-là jusqu’à
l’apothéose de 68 qui précipita sa perte. C’est aussi le niveau le plus
superficiel. Cependant, la manière « héroïque » dont il est traité
par Debord est déjà une indication, et une incitation, à regarder en
profondeur, plutôt du côté de la « légende dorée » que de l’Histoire
proprement dite.
La référence et d’identification de l’I.L. et
de l’I.S. à la chevalerie arthurienne sont assez évidentes. Cependant, si cela
passe de façon privilégier par l’imagerie de la bande dessinée et du cinéma, on
aurait tort de ne voir là qu’un attachement puéril. Bien au contraire,
l’errance et les aventures des chevaliers du Graal — et jusqu’à l’éthique même de
la chevalerie — sont des modèles actuels pour nos modernes aventuriers. Debord
n’écrivait-il pas à Chtecheglov, à la grande époque de la dérive, qu’il
s’agissait de « [c]réer un cycle épique qui laisserait loin derrière en
qualité Homère et la Table Ronde. » ; et il répétait encore par la
suite à Jorn la nécessité de créer une mythologie nouvelle autour de l’I.S.
naissante.
Debord et Chtcheglov ont été frappé très tôt de
l’analogie qu’on pouvait faire entre leurs propres pratiques déambulatoires et
le parcours erratique des héros arthuriens en quête d’aventure. Debord y fait
explicitement référence dans In girum :
« C’était une dérive à grande journée, où rien ne ressemblait à la
veille ; et qui ne s’arrêtait jamais. Surprenantes rencontres, obstacles
remarquables, grandioses trahisons, enchantements périlleux, rien ne manqua
dans cette poursuite d’un autre Graal néfaste, dont personne n’avait voulu. »
Debord s’est beaucoup intéressé à l’histoire ancienne
du Quartier comme on peut s’en rendre compte dans l’extrait suivant d’un lettre
à Chtcheglov qui se passionnait lui aussi pour les « dessous de
l’Histoire » : « Oui, le méridien Contrescarpe se précise, et
s’implante dans les mœurs. […] / De plus, la rue St Médard, par laquelle
certain groupe lettriste remonta un Dimanche matin vers une arrestation
mouvementée doit être, s’il faut se fier au nom sur l’emplacement ou dans le
proche voisinage de cimetière St Médard – disparu – célèbre pour les scènes de possession qui firent scandale sur la
tombe du diacre Pâris, au XVIIIe siècle. […] / La police de l’époque
du fermer le cimetière. / D’autre part, la montagne Ste Geneviève se révèle
tout au long de l’histoire le haut-lieu de toutes les conspirations. Au XIXe
s. le quartier le plus solidement insurrectionnel de Paris : Repaires des
Sociétés Secrètes d’alors – dans les bars
de chiffonniers de la Rue des Patriarches. »
Il insiste aussi, dans la même lettre, sur le fait que le Quartier est un lieu prédestiné de l’histoire
révolutionnaire : « J’ai sous les yeux une passionnante carte des
barricades de juin 48 dans l’EST de paris (le Paris
révolutionnaire à toujours été à l’EST […].) Voilà qui est constant. Cf. cet
imbécile de Breton qui se flattait d’avoir désigné un important point
stratégique en matière de révolte sur le boulevard Bonne Nouvelle parce que la
manifestation Sacco-Vanzetti l’avait ravagé (Nadja). » Il faut noter cette
sortie contre l’ainé qu’il s’agit de supplanter, parce qu’elle ne prend pas encore
pour prétexte un quelconque goût de l’occulte pour le déconsidérer — et pour
cause. Ce n’est que par la suite que Debord se fera la le champion du
rationalisme matérialiste contre l’attitude surréaliste ; et qu’il gommera
toute référence « occulte » dans ses écrits. Il faut aussi se
souvenir que Debord avait adhéré avec enthousiasme à une suggestion de Chtcheglov :
« Eh oui très bonne idée – les lettristes pouvoir occulte, comme le Ku
Klux Klan, l’œil de Moscou, l’Intelligence Service… »
(À suivre)
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