mardi 18 juin 2013

Lectures – in situs / 2



Keith Sanborn, Art, Théorie, Praxis : Praxis synthétique post-théorique

[…] L’estime que Debord avait pour Cieszkowski alla jusqu’à lui dédicacer un intertitre extrêmement important dans l’adaptation de La Société du spectacle. Debord cite ainsi Cieszkowski dans la traduction de Max Jacob publiée à Champ Libre : « Ainsi, après que la pratique immédiate de l’art a cessé d’être la chose la plus éminente et que ce prédicat a été dévolu à la théorie en tant que telle, il se détache à présent de cette dernière dans la mesure où se constitue la pratique synthétique post-théorique, laquelle a d’abord pour mission d’être le fondement et la vérité de l’art comme de la philosophie. » (August von Cieszkowski, Prolégomènes à l’historiosophie.) / […] / Ici, Cieszkowski nous livre, en une seule phrase, sa philosophie de l’histoire. Il fait allusion à une division en trois parties de l’histoire, qu’il expose dans les grandes lignes à un autre moment des Prolégomènes : ce que nous pourrions appeler l’âge de l’art, l’âge de la philosophie et l’âge de la praxis. Cette division est pensée comme un remplacement dialectique de la division de l’histoire en quatre parties, proposée par Hegel. / […] / En appliquant la propre dialectique de Hegel au système hégélien, Cieszkowski voit la nécessité d’une synthèse dialectique de de l’art et de la philosophie : l’en-soi (l’être pur) et le pour-soi (la conscience) doivent produire une synthèse – une négation de la négation – de l’extérieur de soi (la praxis), où la pensée naît : « […] qui a pour mission d’être avant tout la base et la vérité de l’art et de la philosophie. » / […] / Pour en revenir au film, Debord fait allusion en évoquant Cieszkowski à une perspective historique afin de comprendre ce qui est en jeu dans ce film : une sorte de praxis post-théorique synthétique. Ce que je veux dire par là, c’est que non seulement l’utilisation par Debord du texte de Cieszkowski, mais aussi l’effet de l’utilisation de ce texte, sont une manière, en faisant ce film, de faire trianguler l’activité de Debord en un tout. Une synthèse de l’art et de la théorie en une forme d’action : la fabrication d’un film qui constitue une intervention consciente dans le champ du spectacle.

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Patrick Marcolini, De la révolution comme spectacle, Contribution à une critique du concept situationniste de révolution.

[…] les situationnistes, renouant avec une certaine tradition libertaire, ont voulu insister sur le fait que la révolution est d’abord irruption et interruption : elle introduit une brisure dans les temps historiques, elle est à la fois événement et avènement d’un monde radicalement nouveau. Par la conviction qui les animait de « l’imminence d’un bouleversement total », ils ont assumé une conscience du temps analogue à celle de nombreux mouvements religieux millénaristes […]. Et, de fait, en 1967, tandis que Vaneigem voit dans les Frères du Libre Esprit des précurseurs dont il dit simplement traduire les aspirations dans un langage non religieux, Debord considère le millénarisme ayant accompagné les révoltes paysannes de la fin du Moyen Age comme la première des tendances révolutionnaires modernes. […] On sait qu’en réponse aux Croisés qui lui demandaient comment distinguer les cathares des bons chrétiens, le légat du pape Arnaud Amaury avait énoncé : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Dans le rapport qu’il présente à la cinquième conférence de l’I.S. à Göteborg en août 1961, Vaneigem rétorque pour sa part que le temps est venu « de hâter la fin d’un monde, le désastre où les situationniste reconnaîtront les leurs ».


(A suivre)

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