Keith
Sanborn, Art, Théorie, Praxis :
Praxis synthétique post-théorique
[…]
L’estime que Debord avait pour Cieszkowski alla jusqu’à lui dédicacer un intertitre
extrêmement important dans l’adaptation de La
Société du spectacle. Debord cite ainsi Cieszkowski dans la traduction de
Max Jacob publiée à Champ Libre : « Ainsi, après que la pratique
immédiate de l’art a cessé d’être la chose la plus éminente et que ce prédicat
a été dévolu à la théorie en tant que telle, il se détache à présent de cette
dernière dans la mesure où se constitue la pratique synthétique post-théorique,
laquelle a d’abord pour mission d’être le fondement et la vérité de l’art comme
de la philosophie. » (August von Cieszkowski, Prolégomènes à l’historiosophie.) / […] / Ici, Cieszkowski nous
livre, en une seule phrase, sa philosophie de l’histoire. Il fait allusion à
une division en trois parties de l’histoire, qu’il expose dans les grandes
lignes à un autre moment des Prolégomènes :
ce que nous pourrions appeler l’âge de l’art, l’âge de la philosophie et l’âge
de la praxis. Cette division est pensée comme un remplacement dialectique de la
division de l’histoire en quatre parties, proposée par Hegel. / […] / En
appliquant la propre dialectique de Hegel au système hégélien, Cieszkowski voit
la nécessité d’une synthèse
dialectique de de l’art et de la philosophie : l’en-soi (l’être pur) et le
pour-soi (la conscience) doivent
produire une synthèse – une négation de la négation – de l’extérieur de soi (la
praxis), où la pensée naît : « […] qui a pour mission d’être avant
tout la base et la vérité de l’art et de la philosophie. » / […] / Pour en
revenir au film, Debord fait allusion en évoquant Cieszkowski à une perspective
historique afin de comprendre ce qui est en jeu dans ce film : une sorte
de praxis post-théorique synthétique.
Ce que je veux dire par là, c’est que non seulement l’utilisation par Debord du
texte de Cieszkowski, mais aussi l’effet
de l’utilisation de ce texte, sont une manière, en faisant ce film, de faire
trianguler l’activité de Debord en un tout. Une synthèse de l’art et de la
théorie en une forme d’action : la fabrication d’un film qui constitue une
intervention consciente dans le champ
du spectacle.
*
Patrick
Marcolini, De la révolution comme
spectacle, Contribution à une
critique du concept situationniste de révolution.
[…]
les situationnistes, renouant avec une certaine tradition libertaire, ont voulu
insister sur le fait que la révolution est d’abord irruption et
interruption : elle introduit une brisure dans les temps historiques, elle
est à la fois événement et avènement d’un monde radicalement nouveau. Par la
conviction qui les animait de « l’imminence d’un bouleversement
total », ils ont assumé une conscience du temps analogue à celle de
nombreux mouvements religieux millénaristes […]. Et, de fait, en 1967, tandis
que Vaneigem voit dans les Frères du Libre Esprit des précurseurs dont il dit
simplement traduire les aspirations dans un langage non religieux, Debord
considère le millénarisme ayant accompagné les révoltes paysannes de la fin du
Moyen Age comme la première des tendances révolutionnaires modernes. […] On
sait qu’en réponse aux Croisés qui lui demandaient comment distinguer les cathares
des bons chrétiens, le légat du pape Arnaud Amaury avait énoncé :
« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Dans le rapport qu’il
présente à la cinquième conférence de l’I.S. à Göteborg en août 1961, Vaneigem
rétorque pour sa part que le temps est venu « de hâter la fin d’un monde, le désastre où les situationniste
reconnaîtront les leurs ».
(A
suivre)
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