Poursuivons cet inventaire des niveaux de
lectures d’In girum. Que l’on en
privilégie un ou plusieurs, ou que l’on en visite les différentes strates, on
se trouve en présence de matériaux de construction divers qui tous ont contribué,
d’une manière ou d’une autre, à la réalisation de l’œuvre telle qu’elle est
donnée à voir.
Si la référence au cycle arthurien est la
plus évidente et la plus constante, il faut aussi remarquer celle, plus
discrète, faite au Testament de
Villon. Elle apparaît surtout dans le choix qui est fait par Debord de certains
extraits des Enfants du paradis ;
particulièrement ceux qui mettent en scène les « mauvais garçons » et
leurs mœurs. Si Debord s’identifie manifestement au personnage de Lacenaire
qu’il montre longuement à plusieurs reprises, celui-ci renvoie lui-même à la
figure de François Villon ; et le Quartier et ses bouges qui constituent
le cadre où se déroulent les aventures des « voyous lettristes » renvoient
au Paris des Coquillards — comme le « Boulevard du crime » du film de
Carné est autre évocation de « l’intraitable pègre » magnifiée par
Debord ; avec La Nuit de Saint-Germain-des-Prés
l’évocation rejoint l’époque contemporaine puisque le film de Bob Swaim a pour
cadre le Paris existentialiste qui ne recouvre toutefois pas complètement celui
des lettristes.
Une autre des références — qui est aussi un
modèle — de Debord est la figure du Cardinal de Retz. De la même manière que
celui-ci s’est fait le mémorialiste de la Fronde dont il fut l’instigateur et
l’infatigable protagoniste, Debord se fera celui de ce moderne rissorgimento de la Fronde que fut la
révolte de mai 68. Ce qui le rapproche aussi indubitablement de Retz c’est la
dimension du jeu qu’il a donnée à son action. On peut même affirmer de Debord
qu’il est devenu révolutionnaire par jeu ; parce que, de tous les jeux
possibles, celui de la révolution lui est apparu être le plus riche en
aventures : c’est ainsi qu’il opté pour la « bonne vieille
cause » — et c’est aussi la raison pour laquelle ces « rebelles sans
cause » qu’étaient les lettristes s’y sont ralliés. Mais cette conversion
révolutionnaire qui, en s’affermissant s’est exprimée de plus en plus dans un
langage marxiste et guerrier chez Debord, n’était que le nouvel habillage d’un
millénarisme sous-jacent qui restera une constante même après le soi-disant
« virage politique » qu’il fera prendre à l’I.S. — il est à noter que
la référence millénariste est également fortement présente chez l’une des nouvelles
recrues de l’époque : Raoul Vaneigem. Ce tournant dans l’orientation de
l’I.S. se caractérise par une « occultation » de ces références qui
devenaient gênantes dans le nouveau contexte.
Elles ne resteront plus présentes qu’à titre
de métaphores littéraires dans le nouveau discours situationniste. Ainsi, il ne
sera plus question pour l’I.S. de se borner à un rôle de « centrale
influencielle » plus ou moins occulte telle que pouvait le rêver Ivan
Chtcheglov ; mais de « prendre le pouvoir »*, c’est-à-dire de
travailler ouvertement à la formation d’un parti révolutionnaire dont ce serait
l’objectif. Cependant toutes ces prémisses désormais reléguées aux oubliettes n’en
restent pas moins sous-jacentes dans l’I.S. Il est à noter que le « sectarisme »
est d’ailleurs une caractéristique des groupuscules d’avant-garde que ce soit
dans la culture ou dans la politique.
__________________
*. Il faut à ce propos tordre le cou à une
légende, celle de l’exclusion de Chtcheglov par Debord. C’est en fait le
premier qui est parti après avoir constaté que Debord avait rajouté de son propre chef à un prospectus
annonçant une exposition de métagraphies la phrase suivante : « Ce
qui nous importe, c’est la prise du pouvoir. » (Cf. Ivan Chtcheglov, Profil perdu,
Jean-Marie Apostolidès & Boris Donné, Allia.)
(À suivre)
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