Extrait :
Dix ans après avoir été créé, le Golem
retourna à la poussière. Voici comment et dans quelles circonstances. C’était
le trente-troisième jour du Omer, de
l’année juive 5350 (1590). En ce jour où le deuil du Omer est suspendu, la communauté évoquait Rabbi Chimon Bur Yohaï,
les disciples de Rabbi Akiba, les combattants de Bétar. Selon une ancienne
coutume, les gens coupaient les cheveux aux enfants, et sortaient dans les
champs pour tirer à l’arc. La Maharal, lui, s’était retiré dans son cabinet
d’étude. On avait le sentiment qu’il méditait sur des choses éminemment graves.
/ Ce soir-là, il convoqua ses deux plus éminents disciples, Rabbi Yitshak
Hacohen et Rabbi Sasson et leur annonça sa décision : l’heure de Yossel
était venue. Ils se rendirent tous trois au Tribunal. Le Golem somnolait.
Lorsqu’il vit le Maharal, ses yeux semblèrent s’abimer. Ils s’assombrirent
lorsqu’il vit ses disciples. « Mon petit Yossel » commença le Maharal,
puis sa voix s’étrangla, et il fut incapable de poursuivre. « Mon cher petit
Yossel » reprit-il. Le Golem retint son souffle afin de mieux entendre. « Ce
soir tu dormira ailleurs » dit le Maharal. Il répéta « Ailleurs, dans
le grenier de la synagogue ». Le Golem baissa la tête. Il avait dû deviner
la vérité. Les yeux de Rabbi Yishak et de Rabbi Sasson, tout comme ceux du Maharal,
étaient mouillés de larmes. « Viens mon cher Yossel » dit-il. Ils s’enfoncèrent
dans la nuit et marchèrent en silence en direction de la synagogue. Le Maharal
monta au grenier avec à sa suite le Golem, suivi de près par ses deux disciples.
Pendant un moment les quatre demeurèrent complètement immobiles, comme englués
dans leurs propres ombres. Puis la voix du Maharal rompit le silence. « Couche-toi
cher petit Yossel. » Après une imperceptible hésitation, le Golem obéit. « Maintenant
étends les bras » dit le Maharal. Le Golem étendit ses bras. « Maintenant,
les jambes » dit le Maharal. Le Golem étendit ses jambes. « Baisse tes
paupières » dit le Maharal. Le Golem ferma les yeux. « Respire
lentement, très lentement. » Le Golem obéit. « Te sens-tu envahi par le sommeil ? » demanda
le Maharal. Le Golem voulut hocher la tête pour dire oui, mais sa force l’avait
abandonné. « Tu accomplis ta destiné, dit le Maharal, tu peux être fier.
Peu d’hommes ont sauvé autant de vies que toi. Puisse ton sommeil être doux,
mon cher Yossel. N’aie aucune inquiétude. Personne ne viendra te troubler. Je t’en
fais la promesse. » / Le Golem sombra dans un sommeil profond et sans
retour. Puis le Maharal enjoignit à ses disciples de faire sept fois le tour de
son corps en partant de la tête. Le maître marchait en tâte. Il récita à voix
basse des formules mystiques, d’anciennes prières remontant au sixième jour de
la Création. Rabbi Yishak et Rabbi Sasson, eux, récitaient des psaumes. / Après
la cérémonie, le Maharal est ses disciples
prirent quelques vieux vêtements rituels et recouvrirent le Golem de la tête
aux pieds. Lorsque le visage d’argile tourmenté disparut sous le talih déchiré, le Maharal émit un soupir
de deuil. / Le lendemain fut un jour sans soleil pour les habitants juifs de Prague.
/ La soudaine disparition du Golem ne causa pas de grands remous. La rumeur
circulait que « Yossel le muet », de nature vagabonde, avait décidé
de retourner chez lui. Comme cela, sans raison, et sans dire au revoir. Comme
les gens n’avaient jamais rien compris au Golem, ils continuèrent à n’y rien
comprendre. / Afin de maintenir le mystère, le Maharal interdit formellement, et
sous peine d’excommunication, le moindre accès au grenier de la synagogue. Il
ne donna pas d’autre explication que celle du danger que la chose représentait.
Les gens, habitués à obéir au maître, se conformèrent à sa volonté. / Peu après
le décès du Maharal, le roi Rodolphe devint fou et dut abdiquer le trône. Il
passa les dernières années de sa vie obsédé par la santé de son bébé lion, dont
un astrologue lui avait dit qu’il partageait l’horoscope. / On raconte que bien
plus tard, quelqu’un ouvrit la porte du grenier de la synagogue du Maharal, et
y jeta un regard. Il perdit la raison. Un autre en perdit la vie. Un autre y
laissa son âme. Et un kabbaliste sans âge de commenter : il est dangereux
de regarder là où on ne doit pas. Mais un mendiant itinérant qui aimait raconter
des histoires à des enfants orphelins leur confia, sous le sceau du secret sa
propre explication : le Maharal avait interdit l’accès au grenier car en
vérité le Golem était demeuré vivant. Immobile il attend d’être rappelé. /
Quand à moi, j’aimerais bien savoir.
Elie Wiesel, Le Golem, Éditions du Rocher /
Bibliophane.
*
« Un
Gollem avec deux “l” ; mais c’est
un Ange ! » — in memoriam
le Café Gollem.
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