Je viens de feuilleter Éloge de l’infini de l’intarissable Sollers — qui fait suite à La Guerre du goût — où il poursuit la
compilation de ses essais. Mais, attention !, nous met-il en garde, « […] il ne s’agit pas d’un [vulgaire] recueil mais d’un véritable inédit, chaque texte ayant été prévu pour
jouer avec les autres dans un ensemble ouvert. Dans un tel projet,
encyclopédique et stratégique, les circonstances doivent se plier aux
principes. D’où le titre : Éloge de l’infini. » Le lecteur est
prévenu : il va devoir s’armer de patience ; il lui faudra aussi être
mélomane : « Ce livre s’adresse
aux musiciens de la vie. » Bien. La musique, Philippe il connaît,
depuis le temps qu’il nous enchante avec sa flute. Au fil du temps,
Debord est devenu son compositeur favori ; et il ne rate jamais une
occasion de nous faire entendre des extraits (bien) choisis de son répertoire.
Et de citer son nom : pas moins de trente occurrences dans ce (fort)
volume. Alors qu’il ne cite Muray qu’une seule fois — il est vrai qu’ils
étaient fâchés.* Muray se flatte pourtant d’avoir dépassé Debord. Philippe Sollers, qui en est resté à la « société du spectacle » alors que
nous sommes passés à la « société
hyperfestive », a donc une société de retard : ce qui est tout de
même gênant pour un avant-gardiste aussi confirmé. Gageons qu’il va se dépêcher
de prendre la « société festive »
en marche avant qu’elle ne soit passée.
Mais revenons à Debord que Sollers met encore
sérieusement à contribution dans son copieux Éloge de l’infini que j’ai pu parcourir vite fait grâce à son index
(l’index est décidément un auxiliaire irremplaçable). Nous nous attacherons
principalement à trois articles respectivement intitulés : Debord au cinéma, L’art extrême de Guy Debord et L’étrange
vie de Guy Debord.
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* Voilà ce que Muray dit de Sollers dans ses Essais, toujours interrogé par la fidèle
Elisabeth Lévy qui, évoquant « les
maoïstes [qui] se sont trompés,
non ? », ajoute perfidement : « Peut-être est-ce la condition nécessaire d’une pensée ? Reste à
comprendre comment on passe, comme Philippe Sollers, du maoïsme au
balladurisme : le fil conducteur serait-il précisément l’erreur ? »
La réponse de Philippe Muray ne se fait pas attendre : « Dans le cas que vous citez, il ne s’agit
nullement d’erreur, de l’erreur au sens ontologique, mais de combines plus ou
moins réussies pour rester au plus près de ce qui a été identifié, à une
période quelconque, comme maître du monde présent. Ça pourrait donc aussi bien
être Messier que Mao. Ou Zidane. Ou Jospin. » Ce qui n’est pas mal vu.
Dans une autre interview, par Étienne de
Montety, à la question : « Philippes
Sollers se présente en rebelle alors qu’il risque moins la liste de
proscription que celle des meilleures vente. Il dit de son livre L’Étoile des
amants, que se sera un “11 septembre éditorial”. Qu’en pensez-vous ? »
La réponse est sans appel : « Ce
genre d’écrivain, comme aussi Angot d’ailleurs et d’autres, ne sont une
question que pour les médias. Lesquels adorent les “éléments perturbateurs”
rituels et les mal-pensants d’appareil, enfin les bureaucrates de la
rebellitude, dont le rôle consiste à parler sans répit la langue d’une parodie
de rébellion pour affirmer également sans cesse cette vérité officielle qu’ils
n’existent pas en tant que bureaucrates. Ainsi mentent-ils de deux manières et
sans relâche. Ces professionnels de la rébellion de confort poursuivent la
guerre contre ce qui peut encore rester du passé et des anciennes conditions de
vie, officiellement pour libérer les individus de leurs chaînes archaïques,
mais en réalité pour les acclimater au futur inéluctable. C’est un boulot qui
se poursuit dans toutes les disciplines. Eux le font sur le plan
littéraire. »
(À suivre)
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