Si on examine la situation à la veille de la création de l’I.S., on s’aperçoit que l’I.L. se réduisait à un petit noyau : Guy Debord, Michèle Bernstein et Gil J Wolman, c’est à peu près tout. (Il faut noter la rencontre avec Asger Jorn en 1954 qui sera, à tous égards, capitale ; nous y reviendrons.) Le n° 2 de Potlatch (29 juin 1954) annonçait : « L’internationale lettriste poursuit, depuis novembre 1952, l’élimination de la “Vieille Garde” […]. » ; suivaient les noms des exclus et les motifs prétendus de leur exclusion. Dans cette « Vieille Garde », on trouve : « Ivan Chtcheglov alias GILLES IVAIN », ce qui est comble ; motif de l’exclusion : « Mythomanie, délire d’interprétation — manque de conscience révolutionnaire. » Le n° 28 (22 mai 1957), dernier numéro de Potlatch, boucle la boucle : « LA RETRAITE / Fillon et Wolman ont été exclus de l’internationale lettriste le 13 janvier. On leur reprochait de puis assez longtemps un mode de vie ridicule, cruellement souligné par une pensée chaque jour plus débile et plus mesquine. » Si l’on voit que Wolman est manifestement ménagé : « Wolman avait eu rôle important dans l’organisation de la gauche lettriste en 1952, puis dans la fondation de l’I.L. Auteur de poèmes “mégapneumiques”, d’une théorie du “cinématochrone” et d’un film, il avait été délégué lettriste au congrès d’Alba, en septembre 1956. Il était âgé de vingt-sept ans. » et si l’on sait que : « L’un n’exclu pas l’autre. », on peut d’autant mieux comprendre que cette exclusion n’en est une qu’en apparence. Ce qui n’est le pas le cas pour Fillon qui est expédié vite fait : « Fillon n’avait rien fait. » — ce qui après tout aurait pu être considéré comme un titre de gloire : « J’en foutrai jamais une secousse, etc. »
Alors, on en revient à la question : quelle réalité recouvraient l’I.L. et la première I.S. qui en est la suite et pour finir celle qui a été finalement dissoute par Debord ? Voilà ce qu’en dit Jean-Michel Mension : « Je ne sais pas comment il a vraiment vécu la période après la dissolution de l’Internationale situationniste. Je ne sais pas d’ailleurs si l’Internationale situationniste existait avant qu’on la dissolve, si elle a vraiment existé après 68, je ne sais pas ; parce qu’y avait tellement de gens qui se disaient situationnistes, et Guy pouvait pas supporter ce genre de choses ; ça c’était tout à fait contradictoire, là quand on l’a connu ; on sent bien qu’y a quelque chose qui pour lui est irréversible, y peut pas être dans un groupe qui dépasse, je sais pas… vingt personnes c’est déjà trop, faut en exclure, faut que ce soit effectivement le petit groupe ; alors avec quelques centaines de situationnistes c’était… c’était l’affolement, c’était affreux, fallait fuir : et il a fuit, il a eu raison. »*
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*Interview pour la série de quatre émissions consacrées à l’I.S. sur France Culture en 1996.
(À suivre)
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