Vincent Kaufmann, l’un des principaux thuriféraires debordien agréé par la « famille » pour enfumer le public, après avoir noté le « pas en arrière » que constitue l’I.S., croit bon de préciser : « Mais l’I.S., c’est aussi un pas en avant, ou même deux. » En effet il en fallait bien deux pour pouvoir avancer sinon elle serait restée sur place. Elle a d’ailleurs fort logiquement commencé par piétiner, « entre 1957 et 1962 », puisqu’il lui a fallu « rejouer […] la sortie des artistes » dont elle est majoritairement constituée ; avant de passer aux choses sérieuses dans un deuxième temps : la révolution sociale. Là aussi, il faut se demander si l’élimination des artistes à véritablement constituée un progrès — ce qui ne fait aucun doute pour Vincent qui note quand même que « [d]e cette première période, il ne reste bientôt rien d’autre que l’indéfectible amitié entre Debord et Jorn, qui continue à soutenir financièrement les activité de l’I.S. — notamment la publication d’Internationale situationniste. » Ce que Kaufmann omet de dire c’est que Jorn va pouvoir continuer tranquillement ses activités de peintre ; ce qui était reproché aux autres et avait constitué le motif de leur exclusion. Voilà ce qu’en dit un autre artiste qui fut aussi à l’avant-garde des exclus : « C’est un [Jorn] des rares membres de l’I.S. à ne pas avoir été exclu. Il a même démissionné avant de l’être [et il a continué à participer aux activités de l’I.S. sous le pseudonyme de George Keller]. C’est l’artiste qui est resté le plus longtemps, tout en continuant à faire tout ce qu’il voulait et à entretenir des relations avec qui il voulait. On peut dire que s’il y avait une discipline in terne à l’I.S. qui était de ne plus avoir de rapport avec les exclus, quelqu’un comme Jorn s’asseyait allégement dessus. »*
On voit que la discipline de fer affichée n’excluait pas les « petits arrangements entre amis ». Parce que l’I.S., comme avant-elle l’I.L., est avant tout une « conjuration des égaux », une « fraternité », une « famille » (un peu comme la « famille Manson », si on veut ; mais en moins radical tout de même). Et donc, tout le décorum — les sections, les Conférences, les exclusions, etc. — est surtout fait pour la galerie : les spectateurs, les « enfants du paradis ». Les adhésions, au moins au début, sont circonstancielles et ne font pas l’objet d’un examen scrupuleux ; il s’agit avant tout de donner une réalité aux sections nationales qui se doivent de compter au moins un membre dont on puisse utiliser la signature au bas des déclarations communes. Écoutons Constant : « L’I.S. était Debord, personne d’autre. Toutes les sections… Il n’existait pas une Internationale ; moi j’étais la section hollandaise, tout seul ; et la section danoise était Jorn ; et la section italienne c’était Gallizio. Même de vagues amis lui suffisaient pour créer une section — il existe même cette blague que le frère d’Asger Jorn il a fait pour présenter une section norvégienne, d’un dénommé Ambrosio Fjord qui n’était autre que le cheval de sa femme ; et Debord… Il a même signé un tract pour la section norvégienne, Ambrosio Fjord ! Et quand il a su, plus tard, que c’était le cheval, il était furieux ; parce qu’il n’aimait pas ces blagues-là. Moi, j’ai ri un peu ; il faut avouer, oui. »**
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* Ralph Rumney, Le Consul, Allia.
** Interview pour la série de quatre émissions consacrées à l’I.S. sur France Culture
en 1996.
(À suivre)
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