Encore un mot sur les relations Debord / Chtcheglov qui sont essentielles pour comprendre la suite de l’histoire. Et deux citations : « Il faut partir très vite, pour ne pas savoir ce que deviennent les gens »*, écrit Debord dans une lettre à Chtcheglov du temps de leur « idylle », qui résume assez bien une pratique qui sera constante chez lui dans sa manière de conclure la plupart de ses relations ; et : « Il ne fait guère de doute que la rupture avec Debord soit la cause principale des troubles dont Chtchteglov [fut] atteint. »**
Avant qu’il n’entre définitivement dans la légende, Debord rendra un hommage tardif à Chtcheglov dans son film testamentaire où est réinvesti, pour la dernière fois, toute la « mythologie » situationniste que celui-ci avait contribué plus que personne à mettre en place et dont il avait été brutalement exproprié. Debord avait bien essayé de renouer avec Chtcheglov lors de la parution du numéro 1 d’I.S. en publiant son Formulaire pour un urbanisme nouveau ; et Michèle Bernstein avait elle aussi, dans le même numéro, lancé un signal dans sa direction ; mais en vain : Gilles Ivain s’était avancé trop loin dans « l’autre pays » pour qu’il puisse encore revenir.
Normalement, ces événements dramatiques, auraient dus poser, au minimum, un problème de conscience à Debord, l’homme qui n’avait pas d’inconscient ; mais il était assez peu « charitable », pour employer une terminologie chrétienne qu’il aurait récusé. Et pourtant, l’« amour du prochain » constitue justement ce qu’on appelle la « simple humanité » — et Ivan était certainement son prochain. Par parenthèse, Philip K. Dick, en était arrivé à la conclusion que la charité était ce qui distinguait un homme d’un robot. Fin de la parenthèse. Mais Debord voulait être « l’homme de fer », quoi qu’il arrive.
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* Guy Debord, Le Marquis de Sade a des yeux de filles, Librairie Arthème Fayard.
** Jean-Marie Apostolidès et Boris Donné, Ivan Chtcheglov, profil perdu, Allia.
(À suivre)
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