Jusqu’à présent, la plupart de ceux qui ont écrit sur l’I.S. et plus particulièrement sur son démiurge, Debord, se sont refusés à psychologiser sur le sujet comme si le fait de s’interroger sur ses motivations intimes était forcément hors sujet. (À la rare exception de Jean-Marie Apostolidès a qui nous donnerons la parole pour conclure.) Ainsi de l’alcoolisme impénitent de Debord qu’il a toujours revendiqué comme un défit supplémentaire à la société et qui, donc, semble aller de soit, sans que l’on se soit demandé s’il n’y avait pas là quelque chose à élucider ; et comme si, avant de le pousser au suicide, celui-ci n’avait pas contribué, en même temps que ses capacités physiques, à amoindrir ses facultés intellectuelles — mais puisqu’il rien ne semble en transparaître dans ses dernières production — on a pu y veiller — ; et même si l’on a pu noter des bizarreries dans son comportement — mais elles sont évidemment à mettre à son crédit —, pourquoi voir un problème là où pour lui-même il n'y en a aucun.
Et pourtant : « Combien de bouteilles, depuis lors ? Dans combien de verres, dans combien de bouteilles s’était-il caché, seul depuis lors ? » ; cette phrase, indiquée dans le script comme devant apparaître en sous-titre dans Critique de la séparation au moment où apparaît à l’écran une image de bande dessinée : « un homme tenant un verre », a disparu dans le film. Mais qu’importe puisque l’« artiste » — qui est souverain — en a décidé ainsi.
Apostolidès écrit de « l’œuvre » de Debord : « Elle se présente […] comme un jeu de piste, semé d’embuches et de leurres, mais pleine de promesse pour qui saura éviter les traquenards. De multiples signes discrets renvoient à d’autres textes, à d’autres époques, à d’autres auteurs ; chacun de ses signes doit être méticuleusement observé pour décrypter le message qu’il dissimule et dont il indique la présence. Dès qu’une fois on a ouvert ce secret, il est impossible de ne pas le voir. Debord a mis un soin obsessionnel à murer son univers intime, à l’abri de ses proches et probablement contre eux. […] Ceux-ci s’en sont généralement satisfaits. Je commence à peine à vous faire comprendre que je ne veux pas jouer ce jeu-là. »
« Quant à Guy Debord le théoricien, il ne pourra échapper à ce rêve de pierre, à ce tombeau glacé qu’il s’est construit, que si une partie de ses lecteurs accepte dès aujourd’hui de lui redonner vie, sur un autre mode. Loin de l’hagiographie de commande ou du mépris cuisant qu’il a également suscité, l’une n’étant que l’envers de l’autre, il doit trouver sa place parmi les autres écrivains de sa date. Il doit cesser d’être un absolu, pour entrer dans le monde de la relativité et de l’échange intellectuels. Finie la cambrure un peu raide du philosophe qui n’a rien et qui ne demande rien ; il doit descendre sur la piste et “danser la vile pantomime” comme les autres. Il faudra désormais le considérer comme un homme marqué à la fois par son époque et par son histoire personnelle. Cela implique une connaissance sans illusion de ce qu’il a été et de ce qu’il a vraiment accompli, au-delà des leurres et des poses avantageuses. […] Je ne suis certes pas le premier à le demander, que ceux qui ont participé de près ou de loin à l’aventure de l’I.S. apportent leur témoignage ; qu’ils donnent leur version des faits. »
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