lundi 2 avril 2012

L’I.S., Image et Vérité / 4

On a ici un bon exemple de la manière dont Debord réécrit l’histoire — toujours à son avantage, assuré qu’il est de ne pas être démenti, parce que « les situationnistes ne parlent pas ». Jean-Michel Mension qui n’a pas été situationniste peut se le permettre, lui : « C’est écrit nulle part. Mais pour ceux qui ont été situs, pour Gil Wolman, pour Michèle, on ne parle pas […]… C’est un peu un hommage à Guy, je suppose, avec son idée de conspiration, de secret […]. » Il dit aussi : « […] je suppose qu’il écrit l’histoire à sa façon. Je suis pas le seul à le penser. Je ne prendrais pas tout Panégyrique pour la réalité — ni d’autres bouquins où il parle de lui. »*

On est là au cœur du dispositif mis en place par Debord : il y a, d’un côté, une « histoire secrète » — interne — dont on ne parle pas ; et, de l’autre, l’image — à destination de l’extérieur — projetée comme un leurre pour renseigner et égarer en même temps le spectateur, à qui il n’est pas permis d’accéder au « sanctuaire » où est célébré le « mystère » — ce qui est le privilège des « initiés » ; mais précisément, ils sont muets. Et ce dispositif fonctionne parfaitement. Ainsi, l’histoire racontée par Debord peut ne pas être l’histoire véritable, mais comme il n’y a personne pour venir la démentir c’est qu’elle est véridique — et même si l’on peut relever, ici ou là, quelques inexactitudes, cela ne tire pas à conséquence. Par exemple l’histoire du fameux slogan : NE TRAVAILLEZ JAMAIS. Jean-Michel Mension écrit à ce propos : « Je sais que dans ses Mémoires Debord s’attribue la paternité de ce graffiti, et prétend l’avoir inscrit à la craie. En fait c’est moi qui ai fait le travail. Peut-être, un jour, un troisième participant s’attribuera-t-il cette œuvre ? Qu’importe, l’essentiel reste que nous étions tous d’accord avec ce mot d’ordre simple, net, intelligent et parfaitement rimbaldien. »** Qu’importe, en effet, que Debord l’ait écrit lui-même à la craie, de sa main, puisque, de toute façon, il aurait pu l’écrire ? Et que tout le monde était d’accord.

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* Interview réalisée pour la série de quatre émissions consacrées à l'Internationale situationniste sur France Culture en 1996.


** Jean-Michel Mension (Alexis Violet), Le temps gage, moisson rouge, Éditions Noesis.


(À suivre)

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