Il faut revenir sur le rôle éminent qu’a joué Ivan Chtcheglov dans la création et l’orientation de l’I.S. qui est pour ainsi dire sortie toute armée de la relation brève et intense qu’il a eu avec Debord au sein de l’I.L. : « Pendant cette période de grande créativité, l’I.L. se réduit à peu près à deux membres : Debord et Chtcheglov. », comme le notent Apostolidès et Donné. Ils écrivent aussi : « Si Ivan est si attentif aux fictions dans lesquelles Guy aime à se projeter, c’est qu’il partage avec lui un vif intérêt pour le mythe. […] Les deux lettristes sont persuadés que pour se faire une place dans le milieu intellectuel et artistique de leur époque, il leur faut inventer des mythes modernes, et se constituer eux-mêmes en figures mythologiques. » « Ivan fait aussi partager à Guy sont goût pour l’imaginaire médiéval : ensemble ils rêvent d’une société secrète qui serait une chevalerie nouvelle. Vu l’effectif réduit de leur mouvement plus ou moins imaginaire, Ivan, qui s’intéresse de plus en plus aux auteurs s’inscrivant dans une certaine tradition, en particulier René Guénon et Raymond Abellio, suggère à Guy de faire de l’I.L. un groupe occulte. » Mais l’idylle entre les deux « frères » va vite se gâter. Chtcheglov commence à faire de l’ombre à Debord qui décide de renouer avec Wolman : « […] le retour de Wolman au premier plan n’est pas seulement motivé par un soucis d’efficacité : Debord le voit aussi comme un moyen d’empêcher Chtcheglov de marquer trop fortement l’I.L. de son empreinte. » ; de plus : « Il s’inquiète de la fascination croissante de ce dernier pour les doctrines orientales. » Apostolidès et Donné ajoutent : « Guy ne souhaitait pas rompre avec Ivan, qui lui a[vait] tant apporté dans les derniers mois ; mais il en vient à considérer son influence comme une menace pour sa suprématie intellectuelle. » C’est ainsi qu’il va faire d’une pierre (d'achoppement) deux (mauvais) coups en mettant Ivan à la porte sous un faux prétexte — alors que dans un premier temps c’est Ivan qui l’a claquée suite à une entourloupe de Guy qui avait rajouté au prospectus d’une exposition de métagraphies à la galerie du Double-Doute la phrase suivante : « Ce qui nous importe, c’est la prise du pouvoir. » « Debord est pris de cours par le départ d’Ivan ; il ne comprend pas très bien les causes de cette rupture décrétée par son ami. Il refuse même de l’admettre. Dans son dépit, soucieux de garder l’initiative au moins en apparence, il transforme la démission en exclusion : il met soigneusement au point ce qui doit apparaître comme la vérité “officielle” de l’épisode, dans l’immédiat et pour le futur — pressentant déjà que c’est sa version des faits qui doit l’emporter et constituer l’histoire du mouvement. » C’est ainsi qu’Ivan s’est retrouvé faire partie d’une charrette d’exclus de l’I.L., au motif de : « mythomanie, délire d’interprétation — manque de conscience révolutionnaire ».
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Note : Les citations sont tirées du livre de Jean-Marie Apostolidès et Boris Donné : Ivan Chtcheglov, profil perdu, Allia.
(À suivre)
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