jeudi 12 septembre 2013

Sur la ligne du risque



J’ai trouvé le dernier roman de Yannick Haenel plutôt intéressant. J’en ai lu un autre depuis : Évoluer parmi les avalanches, qui n’est pas mal non plus. Les Renards pâles, le dernier donc, est sous influence nettement tiqquniste, malgré la référence debordo-situationniste du début. L’autre est crypto-debordien — le nom de Debord n’est pas prononcé mais on remarque sa présence.

Cela m’a incité à aller voir du côté de la Ligne de risque sur laquelle Yannick Haenel évolue avec quelques autres. Et j’ai pu constater qu’il n’est pas toujours en bonne compagnie. Je ne parle pas ici de Sollers qui édite la revue et en profite pour se faire mousser. Je citerais d’abord quelques-uns de ses collaborateurs. Au sommaire du numéro 22, on trouve un inédit du très triste Michel Houellebecq. Le numéro 16 accueille le pop-philosophe Medhi Belhaj Kacem — qui a fleureté un temps avec les tiqqunistes — que l’on trouvait déjà dans le numéro 15 ; qui est décidément riche puisqu’il propose aussi un entretien (de loin) avec le très prolifique Maurice G. Dantec ; et un autre avec le très télégénique Raphaël Endhoven. Le sollerso-debordien Stéphane Zagdanski apparaît quant à lui dans le numéro 19 et de nouveau dans le numéro 14 pour un entretien ; dans ce même numéro on retrouve le polygraphe-qui-a-cessé-d’écrire : Marc-Édouard Nabe — ça fait quand même beaucoup.

Quant à Sollers, il est partout. Mais c’est normal parce qu’il est à la fois le Grand Ancien et le (Saint) Patron de la Boutique. Il paraît que tous ces jeunes gens s’entendent très bien avec lui. Dans un entretien, François Meyronnis, l’un des cofondateurs de Ligne de risque, à la question : « Est-ce que cela vous gêne, le rapprochement avec Sollers ? » répond : « Aucunement. C’est un jeune homme. Je l’envisage comme un jeune homme. » Plus loin, il ajoute (sans rire ; mais l’ironie n’est pas exclue) : « Il est d’une autre génération. Il a une notoriété qu’on pourrait dire “antéspectaculaire” : il a choisi de sur-apparaître dans les médias pour mieux s’en prémunir. Chacun peut être libre de dire s’il y arrive ou pas. Il se trouve, et c’est extraordinaire dans son cas, que tous les gens qui s’accommodent à la sauce média sont dissous par les médias. Et pas lui, parce qu’il continue à penser. Et c’est ça qui nous intéresse. Il a toujours un rapport avec la pensée, et chaque livraison de Ligne de risque peut en attester. Si on sait lire, on peut vérifier. »

Un autre des animateurs de la revue, Frédéric Badré, écrit (très sérieusement) : « Pour les uns, nous sommes les valets de Sollers. Pour les autres, ses épigones légitimes. Sollers fait partie du complot Ligne de risque, moment lui-même de la conspiration qui va des Orphiques à Dada ; des mystiques taoïstes à l’I.S. ; des maitres de la Kabbale à Tel Quel. » Get the picture ? Ce qui nous amène tout droit au numéro de février 2009 intitulé : La Sagesse qui vient : « De quoi s’agit-il ? D’un retour sur les gnostiques. Avec trois entretiens : La Sagesse du gnostique, entretien avec Sandrick Le Maguer ; Sagesse de la résurrection, entretien avec Christian Jambet (sur Mullâ Sadrâ et le chiisme iranien) ; La Connaissance comme Salut, entretien avec Philippe Sollers. » (On voit que ça ne rigole pas.)

Sur le blog de Ligne de risque (réservé aux abonnés : « Nous sommes toujours entre nous. »), on trouve les réflexions suivantes, concernant les rapports entre Ligne de risque et Tiqqun : « “C’est une revue qui à un moment donné, dans un désert complet, a fait une proposition radicale, altière, étrange, et en ce sens tout à fait admirable.” Explique François Meyronnis, coanimateur de la revue “Ligne de risque”. Lui-même se souvient d’avoir été convoqué une fois avec le romancier Yannick Haenel à une réunion des Tiqqun dans un bar en face de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Le contact passe mal entre Coupat et Meyronnis. Trouvant puéril d’aller voir le film “Fight Club” en bande, ainsi que les Tiqqun l’envisageaient ce soir-là, ce dernier se voit sèchement accusé d’“appartenir à un régime ancien de la liberté. » Suivent quelques considérations sur les « liens » entre le Comité invisible tiqquniste et Ligne de risque : « Il faut savoir […] que ce “Comité invisible” partage avec celui de Ligne de risque le même horizon de références, tracé par ces deux grands repères : Debord, Heidegger. Mais encore que ce “Comité invisible” est lié à Tiqqun […] ; que parmi les références de Tiqqun se trouve, justement, la Kabbale, et en particulier un courant de la Kabbale qui s’est développé au XVIIIe siècle, d’orientation messianique […]. »

Voilà. J’espère que le lecteur y voit maintenant plus clair.

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