Revenons
à Waiblinger et à sa Vie de Hölderlin
qui n’était en fait qu’un moyen pour lui de financer son voyage à Rome — et
peut-être de faire patienter l’éditeur en attendant que son roman soit terminé.
Pierre Bertaux écrit à ce propos : « Quant au roman que Waiblinger
avait l’intention d’écrire sur le thème de l’artiste devenu fou, il a
effectivement été écrit, publié, oublié. Il porte pour titre Phaëton, titre qui rappelle Hypérion de Hölderlin. Sans scrupule
Waiblinger y donne comme “des écrits poétiques du sculpteur Phaëton” des
fragments de Hölderlin qu’il avait “empruntés” à Hölderlin et qu’il ne lui
avait jamais rendus. »
Concernant
la « folie » de Hölderlin Pierre Bertaux écrit : « Il est
des passages de Waiblinger auxquels personne ne se réfère jamais, peut-être
parce qu’ils tendraient à infirmer l’interprétation pathologique du cas de
Hölderlin, à laquelle on paraît tant tenir. / Waiblinger, qui pourtant avait
décidé de dépeindre “un fou”, constate : “Entre le genre humain et lui s’est
creusé un abîme insondable. Il est sorti de l’humanité, plus rien ne le relie à
elle que le souvenir, l’accoutumance, le besoin et l’instinct qui ne périt
jamais.” / Et Waiblinger de conclure : “Ces innombrables et curieuses
bizarreries de Hölderlin sont pour la plupart une conséquence bien facile à
comprendre de son existence de solitaire. On voit des gens soi-disant
raisonnables qui, quand ils se retirent du monde pendant des années, en
viennent à des excentricités qui dépassent ce qu’on attend d’un fou fini.
Combien plus un Hölderlin qui, après une jeunesse prometteuse et joyeuse, entouré
de beauté et de plénitude, a été amené par un malheureux concours de
circonstances et une âme trop sensible, une intelligence tendue à l’excès, à
vivre pendant des dizaines d’années sans contact avec le monde.” »
S’agissant
de la réception de l’œuvre hölderlinienne dont il dit qu’à l’époque
pratiquement personne ne l’a lue, Pierre Bertaux écrit : « Ceux dont
c’est le métier de le faire, les historiens de la littérature, vont pendant
quatre-vingt ans se contenter de répéter l’antienne qu’ils ont lue quelque
part : Hölderlin, ce romantique perdu dans on rêve, qui se lamente sur les
ruines de la Grèce antique, cette âme trop sensible qui a succombé aux cruautés
de l’existence. […] Les plus avisés, qui ont peut-être lu de lui un poème ou
deux, sentent qu’il ne faut pas le confondre avec les autres romantiques ;
que peut-être même il n’y a pas lieu de le coopter parmi eux. Mais alors, où le
classer ? Dans quel tiroir, dans quel casier ? Il n’entre dans
aucuns. Sauf dans celui des fous : voilà qui explique tout, voilà pourquoi
il ne ressemble à rien. »
Parmi
les « quelques très rares voix [qui] se sont fait entendre [et] qui ne
vont pas dans ce sens », Pierre Bertaux cite Karoline von Woltmann qui
écrit, peu après la mort du poète : « Hölderlin montera au firmament
de la littérature allemande, le jour où l’Allemagne pourra supporter un poète
qui allie à une conception grandiose l’extrême simplicité d’expression. »
Elle avait lu Hypérion à dix-huit ans. C’est elle qui encouragera Alexander
Jung, « journaliste, écrivain et critique », à écrire « la
première en date des monographies sur Hölderlin », qui est « un des
ouvrage les plus remarquables qui lui aient jamais été consacrés », nous
dit Pierre Bertaux. « Alexander Jung compare l’existence de Hölderlin à
Tübingen à celle de l’ermite en Grèce : “Cette rupture en esprit avec le
monde, voilà ce que les humains ont appelé la folie de Hölderlin.” /
Contrairement à tout le monde en ce temps-là, Alexander Jung insiste sur
l’actualité du message de Hölderlin. / Son ouvrage, écrit en 1847 fut publié
par Cotta en 1848, c’est-à-dire en pleine révolution européenne. En Allemagne,
en Europe, on avait d’autres soucis. Le livre n’eut aucun succès, ni même aucun
écho ; aucune influence sur l’opinion. On continua à répéter, à ressasser
la légende. »
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