Pour
les besoins de son roman, Jean-Yves Lacroix a également réalisé un petit montage
avec des extraits d’une lettre de Debord où il est question de complications
amoureuses entre lui, Alice, le destinataire de la lettre et sa compagne. Il
s’agit d’une (très) longue lettre d’octobre 1971 adressée à Jean-Marc Loiseau qui
se trouve dans le volume 4 de la Correspondance
de Debord. Dans le roman c’est une lettre, datée de 1973, que lui lit son ami
Felipe qui dit l’avoir acheté à un « gugusse de passage ».
Voici
les extraits qui ont servi à Jean-Yves Lacroix pour réaliser la sienne qui est
plus vraie que nature.
Si
je ne t’ai pas écrit jusqu’à présent, c’est que je ne croyais nullement que la
fin malheureuse d’un certain genre de relations avec Ève doive entraîner avec
toi une rupture complète et une défiance sut tous les plans.
*
Je
n’ai pas porté contre toi des accusations calomnieuses, comme je vais te le
montrer […].
*
[…]
je vous reproche des mensonges précis. […] je n’ai critiqué qu’un phénomène de fausse conscience.
*
[…]
en m’écrivant tu as donné à la question une dimension publique qui m’oblige à
répondre […].
*
[…]
je n’ai jamais maintenu contre
personne une affirmation simplement probable mais non prouvée.
*
[…]
je ne me trompe pas quand je constate qu’il y a un défaut général dans la contradiction ente l’idéologie de votre couple de révolutionnaires et la façon concrète
dont vous vivez en cette circonstance le rapport avec les autres.
*
Comme
tu sais, nous n’avons jamais essayé d’influencer ou de capter Ève, fût-ce pour
une demi-heure. Seule la liberté, comme tous les pro-situs le disent mais ne le
pratiquent guère, peut être la base de rapports passionnés entre des individus,
que ces rapports aient pu durer trois nuits ou dix années.
*
Il
n’y a pas de progrès cumulatif
garanti dans la conscience, les connaissances, les œuvres d’un révolutionnaire
– on peut dire aussi : d’un homme, d’une femme. Il y a des embranchements
de la vie où il faut tout de suite choisir telle voie, des sauts qualitatifs,
des occasions manquées et des retombées.
*
Après
qu’Ève nous ait dit pendant deux ou trois semaines qu’elle nous aimait, […]
elle en vient […] nous déclarer […] “qu’elle veut nous aimer, et qu’elle va
nous aimer, mais qu’il y a en elle une peur d’aimer” […]. Le mépris du temps, le temps qui est la base de toute
pensée dialectique, est ici évident. […] on
ne peut, véridiquement, que dire ces deux choses : “Je ne vous aime
plus”, ou bien : “Je me trompais
– ou je vous trompais : je ne vous aimais pas.” Mais la vie n’est pas le
jeu de l’oie où on reviendrait à la cas zéro, ou cinq, ou sept, pour recommencer vers l’avant, en jouant
autrement, en reprenant les coups qui ne collent plus avec la position où on se
trouve placé à tel moment. Quand on vient de boire deux bouteilles, il faudrait
être un délirant pour se proposer sérieusement de goûter son troisième
verre !
*
Je
te connais trop peu pour prévoir si tu voudras prendre cette lettre en bonne
part ou, au contraire, l’injure à la bouche […]. C’est ton affaire, et nous
savons tous qu’en jugeant on est contraint de se juger soi-même.
*
Si
j’avais pu prévoir quelque perturbation à propos d’Ève, crois bien que cette
histoire n’aurait pas eu lieu ; non seulement pour ne pas t’ennuyer, mais
surtout parce que, dans cette éventualité, Ève m’aurait elle-même beaucoup
moins intéressé. / Salut, / Guy
Chez
Lacroix, Ève devient Laure (Ève, Laure, Béatrice, c’est toujours la femme
éternelle) ; et en resserrant considérablement la lettre de Debord, il en exprime
la quintessence. Felipe, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne porte pas
Debord dans son cœur, après lui avoir lu la lettre qu’il introduit par :
« […] on ne peut pas faire confiance à un homme qui prend un intérêt si
personnel à l’énoncée de la vérité. Je vais vous en donner une
illustration. », conclut à l’intention du narrateur : « Vous me
parlez de sa pensée, c’est l’homme que je réfute […]. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire