Ce qui me sépare le plus radicalement des
métaphysiciens, c’est que je ne leur concède pas que le « moi » est
ce qui pense : bien plutôt je considère le moi lui-même comme une construction de la pensée, du même ordre que
la « matière », la « chose », la « substance »,
l’« individu », la « fin », le « nombre » ;
par conséquent comme étant une fiction
régulatrice, grâce à laquelle une espèce permanente de
« cognoscibilité » se trouve implantée, impoétisée [Hineingedichtet]
dans un monde du devnir. La croyance en la grammaire, dans le sujet et dans
l’objet linguistique, dans des substantifs d’activité a jusqu’ici subjugué les
métaphysiciens : j’enseigne comment abjurer cette croyance. La pensée
commence à poser le moi ; mais on a cru jusqu’ici comme le
« peuple » que je ne sais quel
élément de certitude immédiate se trouvait contenu dans le « je
pense » et que ce « moi » était la cause actuelle de la pensée,
grâce à laquelle nous « comprenions » par analogie toutes les autres
relations de causalité. Quelque habituelle et indispensable que puisse être par
ailleurs cette fiction, cela ne prouve rien contre son caractère d’invention
poétique : une chose peut être une nécessité vitale et être fausse malgré tout.
Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, Automne
1884 - automne 1885, Gallimard.
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