Je reproduits
ci-après un message posté par FC sur de feu Debord(el). Il s’agit d’extraits d’un
livre de souvenirs (en dessous de tout) du « menteur Guégan » qui,
nonobstant, ne sont pas dénuées d’intérêts tant en ce qui concerne Debord que son
alter ego Voyer.
Splendeur et misère de M. Voyer
Posted by FC on October 27, 2000 at
02:27:05 PM EDT:
Gérard Guégan, Un cavalier à la
mer, éditions François Bourin, 1992.
Au printemps de 1971, Jean-Pierre
Voyer, qui se présentait comme l’ " homme
d’affaire " de Debord, me rendit visite au 6 de la rue des
Beaux-Arts, où Champ Libre avait réussi, dans deux pièces minuscules, à se
caser. Ancien déserteur de la guerre d’Algérie, il m’avait été recommandé par
Jacques Baynac, qui, après l’avoir fréquenté en Suisse, avait participé à la
création de la Vieille Taupe. Exalté et souvent abrupt dans ses propos, Voyer
avait été chargé d’une mission d’importance : réunir les
" liquidités " nécessaires au tournage de la Société du
Spectacle. Contrairement à ce que j’avais escompté, Lebovici ne
s’enthousiasma pas pour le projet. Pis, il essaya de le refiler à Bizot, qui ne
manquerai pas, selon lui, de sauter dessus. Mais Bizot, qu’escortaient Burnier
et Rambaud, ne montra pas davantage d’emballement à la perspective de produire
ce film. Et Voyer, abasourdi, dut, par ma voix, enregistrer le refus momentané
de Lebovici. Il revient me voir, quelque temps après, porteur d’une autre
nouvelle : Debord, mécontent du traitement que lui infligeait
Buchet-Chastel, avec qui ce génie stratégique avait signé l’un des plus mauvais
contrats de l’histoire de l’édition (quasiment un compte d’auteur), désirait
que Champ Libre s’intéressât à son sort. [pp. 68-69]
[…]
La cruauté de Debord, j’en avais eu
la preuve un matin du printemps 1973. Raphaël et moi remontions la rue de la
Montagne-Sainte-Geneviève lorsque nous aperçûmes devant le numéro 40, où
s’était relogé Champ Libre, l’alter ego de Voyer, que l’on disait rompu aux
exercices violents et qui, lorsqu’il passait chercher des exemplaires de l’Internationale
Situationniste, ne nous adressait pas la parole. Nous étions à ses yeux
des profiteurs qui nous engraissions sur la littérature révolutionnaire. Ce
jour-là pourtant, il nous aborda sans façon, se félicitant de nous connaître,
car une bande de tueurs lancée à sa poursuite cherchait à l’éliminer. Nous le
fîmes pénétrer dans nos bureaux, où il nous raconta que, depuis la veille, où
qu’il allât, il se devinait espionné par des individus doués de pouvoirs
inimaginables, et qui communiquaient entre eux par des montres émettrices et
des signaux ultra-sensoriels. Mais lui, le fidèle de Debord, avait su déjouer
leurs ruses et s’était débrouillé pour les semer. Raphël tenta de le raisonner.
De mon côté j’appelai Lebovici à Artmédia pour lui apprendre la nouvelle. On ne
pouvait le laisser repartir, lui dis-je, car soit les flics le ramassaient et
le faisaient interner, soit il se jetait sous un métro. Gérard me suggéra de
téléphoner à Debord, qui habitait alors dans le Marais. Entretemps, Floriana
était arrivée, ce qui n’avait pas arrangé les choses, car notre
" fugitif " nous avait indiqué qu’elle n’était pas
étrangère au complot, vu que ses poursuivants parlaient italien. Lorsque
j’expliquai à Debord la situation, sa réponse tomba, sèche et sans appel, comme
le diagnostic du psychiatre : " Le mouvement réel ne saurait
être nié, il y faut de la raison, et quiconque la perd s’expose à s’en écarter
et à nous devenir étranger. – Ce qui veut dire ? – Faites au mieux, mon
cher Guégan, et transmettez mes amitiés à Gérard Lebovici. " Un
médecin généraliste, ami de Floriana, accepta de s’occuper discrètement du
malheureux, en sorte que, quinze jours plus tard, il réintégrai ce mouvement
réel qui " ne saurait être nié ".
[…]
Près de seize mois avant cette
matinée révélatrice, Gérard Lebovici avait fait pression sur Voyer pour que
disparaisse de l’index des personnes insultées dans l’Internationale
Situationniste le nom de Marie-France Pisier. L’actrice était alors la
compagne de son ami Georges Kiejman, et Gérard n’envisageait pas encore de se
fâcher avec celui-ci, comme il dut s’y résoudre durant l’été 1977 sous
l’influence de Debord, soucieux de se débarrasser d’un avocat qui lui avait
sauvé la mise lorsque Buchet-Chastel avait obtenu la saisie de notre édition de
la Société du Spectacle. Après quarante-huit heures de réflexion, le
temps d’obtenir du grand-chef son accord, bien que ce dernier l’eût, selon
toute vraisemblance, déjà donné à Lebovici (que refuserait-on à son
producteur ?), Voyer accepta de retirer de l’index la charmante
Marie-France Pisier (1). Rien n’est plus plaisant que le spectacle
de l’honnête homme falsifiant l’infalsifiable, et, pour nous être divertis de
cette démarche, nous urions, le moment venu, à rendre gorge de notre hilarité.
[pp. 284-285]
[…]
Révélateur, Gérard Lebovici le fut
avec Voyer. Il lui permit de coninuer à exister alors que celui-ci ne le
méritait plus, pour avoir tout dit dans son dépliant-affiche Reich, mode
d’emploi, mais quand Gérard s’en rendit compte, il lui appliqua des méthodes
que Voyer n’avait pas désavouées lorsqu’elles salissaient autrui.
Entre le 25 mai et le 7 septembre
1978, Voyer avait envoyé neuf lettres à Lebovici. Pour avoir dénoncé dans un
tract semi-confidentiel les " putes intellectuelles " du
Tout-Paris qui ne voulaient plus s’habiller chez Marx et Cie, Voyer s’était
aventuré hors de ses terres, et le duo Debord-Lebovici y avait perçu une
infraction à son statut de garde-chasse. D’où un avertissement et, en réponse,
cette série de neuf lettres dont Lebovici ne conserva dans la Correspondance de
Champ Libre que les cinq premières, dans lesquelles Voyer se couvrait de
cendres. En les lisant, un lecteur mal prévenu des manipulations
situationnistes ne pouvait que conclure à l’incompétence coupable de Voyer. En de
telles circonstances, Iago a le choix entre mériter son innocence par des actes
ultérieurs ou s’abîmer à son tour dans l’indignité. Au mal, on n’oppose que le
mépris. Mais Voyer se jeta tête baissée dans la haine, où l’on perd la face
plus qu’on ne la fait perdre à l’ennemi.
Dans Hécatombe, qu’il fit
composer chez l’imprimeur qui tira la Correspondance de Champ Libre, à
l’instar d’Adolf Hitler n’acceptant de signer l’armistice de 1940 que sur les
lieux où l’Allemagne avait dû capituler en 1918, sont donc rassemblées les neuf
lettres que Voyer adressa à Lebovici, plus toutes celles écrites à Debord,
Kahn, Montand et tutti quanti.
" Voici un livre, avertit
son auteur dans une note liminaire, qui sera peut-être jugé excessif ;
c’est qu’il traite largement d’une pratique qui ne l’est pas moins et dont on
parle si peu ou si mal à propos : le mensonge et la falsification. "
Or, à la page suivante, Voyer commet son premier mensonge, sa première
falsification : " En 1970, deux ans avant l’ultime scission de
l’Internationale Situationniste, Gérard Lebovici, agent et producteur de
cinéma, créait à Paris les éditions Champ Libre, perpétuant plus ou moins
explicitement le style et les idées du mouvement situationniste. "
Tout est faux dans ce rappel des faits. La date, le rôle de Lebovici dans la
création de Champ Libre, et les buts que nous nous étions assignés. Inutile
d’insiter.
Mais alors, pourquoi Voyer ment-il
si effrontément ? Que souhaite-t-il effacer ? Que vise-t-il, sinon la
légitimation de ses courbettes devant ceux qui le maintinrent dans sa fonction
d’aboyeur ? Nous partis, il se roula en effet aux pieds de Lebovici,
imitant son ami Baynac, et s’attendit, en échange, à un cadeau royal. Mais on
ne lui concéda qu’un os à ronger, l’idéologisation de la publicité, par quoi il
convenait, selon lui, de déchiffrer le discours dominant. Comme si Bécassine
expliquait les manifestations de paysans bretons (2). N’empêche que
Voyer s’en contenta. Erreur dont se souvint Debord lorque, lassé de ses maigres
talents de concepteur, il confia à Lebovici le soin de le renvoyer dans son
trou. Plus rusé que son " esclave " - puisque tel se
définit Voyer dans Hécatombe -, le maître l’obligea à se déculotter.
Sans la moindre retenue, celui-ci avoua tout ce qu’on voulait qu’il avoue et
même plus. Pour un peu, il se serait accusé d’être né. Le 27 octobre 1978,
Gérard Lebovici, ayant tiré le meilleur parti des lettres de Voyer, signa le
bon à tirer du premier volume de la Correspondance Champ Libre. Le tour
était joué : plus con que Voyer, ça n’existait pas ! [pp. 304-306]
_____________________
1. L’anecdote est douteuse :
une simple vérification dans l’index des noms cités ou insultés de l’ouvrage de
Raspaud et Voyer : L’Internationale Situationniste,
Protagonistes/Chronologie/Bibliographie (avec un index des noms insultés),
Champ Libre, 1972, permet de constater que le nom de Marie-France Pisier (citée
dans IS n° 9 p. 11) y figure bien. Guégan fait-il allusion à une autre
occurrence de Marie-France Pisier qui aurait été effacée de l’index ou bien
invente-t-il toute cette histoire ?
2. On reconnaît assez mal l’Introduction
à la Science de la Publicité.
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