jeudi 31 mai 2012

Commentaires sur In girum / 3


Cette « nouvelle époque », Debord ne la reconnaîtra et ne la saluera qu’après 1968, alors que l’I.S. est moribonde et que la révolution a fait long feu. On peut mesurer ici le décalage — pour ne pas dire le fossé — qu’il y avait entre la réalité et l’image mystifiée — et donc mystifiante — qui en est donnée dans le dernier numéro d’I.S. ; puis dans La Véritable scission. Il y avait chez l’I.S. la même obsession de vouloir construire ce fameux parti révolutionnaire sans lequel il y avait point de salut, que dans les nombreuses variétés de gauchismes ; la seule différence étant que l’I.S. ne voulait pas en prendre la tête. On comprend alors mieux la promotion du conseillisme par l’I.S. ; c’était certes une forme organisationnelle du passé qui avait été vaincue mais elle avait un double avantage : celui de n’avoir jamais été expérimenté à grande échelle et celui d’être une forme d’auto-organisation du prolétariat. Seulement, nonobstant, l’I.S. et Debord en premier, ne se sont jamais posé la question de savoir si elle correspondait bien au besoin de la « nouvelle époque » ; si le mot d’ordre de former partout des conseils — fussent-ils anti-ouvriers — était bien pertinent au moment où la jeunesse révoltée de tous les pays qui voulait « changer la vie » refusait précisément de rentrer dans le « système » ; et appelait à la désertion généralisée — plutôt qu’à une autogestion dont les « mauvais ouvriers » ne voulaient pas non plus. Ce mot d’ordre des Conseils mis en avant par l’I.S. en 1968 donne la mesure de l’illusion idéologique qui était la sienne : de son ouvriérisme hors de saison.

La (re)présentation qui est faite de tout cela par Debord dans son film est caractéristique de cette mythologie révolutionnaire où, à grand renfort de métaphores et d’images guerrières, Debord brosse un tableau héroïque de la résistance désespérée de la « dernière internationale » — qui n’a évidemment qu’un lointain rapport avec la réalité. C’est ainsi qu’il glorifie l’action de l’I.S. en mai 68 comme étant le baroud d’honneur d’une avant-garde sacrifiée dont il était le chef : « J’admets, certes, être celui qui a choisi le moment et la direction de l’attaque, et je prends donc assurément sur moi la responsabilité de tout ce qui est arrivé. » — qu’en termes ronflants ces choses là sont dites — ; et encore : « […] jamais, j’ose le dire notre formation n’a dévié de sa ligne, jusqu’à ce qu’elle ait débouché au cœur même de la destruction » ; mais qu’est-ce que cela a à voir avec la fin pitoyable d’une I.S. en bout de course ? Et que dire d’une phrase comme celle-ci où sont évoquées, avec un pathos hugolien, les journées de mai : « Il faudrait bientôt la quitter, cette ville qui fut pour nous si libre, mais qui va tomber  entièrement entre les mains de nos ennemis. […] Il faudra la quitter, mais non sans avoir tenté une fois de plus de s’en emparer à force ouverte […] », si ce n’est qu’elles transforment des journées d’émeutes en une « bataille de Paris » qui n’a pas eu lieu.


(À suivre)

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