Cette « nouvelle époque », Debord ne la reconnaîtra et ne la saluera
qu’après 1968, alors que l’I.S. est moribonde et que la révolution a fait long
feu. On peut mesurer ici le décalage — pour ne pas dire le fossé — qu’il y
avait entre la réalité et l’image mystifiée — et donc mystifiante — qui en est
donnée dans le dernier numéro d’I.S. ;
puis dans La Véritable scission. Il y
avait chez l’I.S. la même obsession de vouloir construire ce fameux parti
révolutionnaire sans lequel il y avait point de salut, que dans les nombreuses
variétés de gauchismes ; la seule différence étant que l’I.S. ne voulait
pas en prendre la tête. On comprend alors mieux la promotion du conseillisme
par l’I.S. ; c’était certes une forme organisationnelle du passé qui avait
été vaincue mais elle avait un double avantage : celui de n’avoir jamais été
expérimenté à grande échelle et celui d’être une forme d’auto-organisation du
prolétariat. Seulement, nonobstant, l’I.S. et Debord en premier, ne se sont
jamais posé la question de savoir si elle correspondait bien au besoin de la
« nouvelle époque » ; si le mot d’ordre de former partout des
conseils — fussent-ils anti-ouvriers — était bien pertinent au moment où la jeunesse révoltée de tous les pays qui voulait « changer
la vie » refusait précisément de rentrer dans le « système » ;
et appelait à la désertion généralisée
— plutôt qu’à une autogestion dont les « mauvais ouvriers » ne
voulaient pas non plus. Ce mot d’ordre des Conseils mis en avant par l’I.S. en
1968 donne la mesure de l’illusion idéologique qui était la sienne : de
son ouvriérisme hors de saison.
La (re)présentation qui est faite de tout
cela par Debord dans son film est caractéristique de cette mythologie révolutionnaire
où, à grand renfort de métaphores et d’images guerrières, Debord brosse un
tableau héroïque de la résistance désespérée de la « dernière
internationale » — qui n’a évidemment qu’un lointain rapport avec la
réalité. C’est ainsi qu’il glorifie l’action de l’I.S. en mai 68 comme étant le
baroud d’honneur d’une avant-garde sacrifiée dont il était le chef :
« J’admets, certes, être celui qui a
choisi le moment et la direction de l’attaque, et je prends donc assurément sur
moi la responsabilité de tout ce qui est arrivé. » — qu’en termes ronflants
ces choses là sont dites — ; et encore : « […] jamais, j’ose le dire notre formation n’a
dévié de sa ligne, jusqu’à ce qu’elle ait débouché au cœur même de la
destruction » ; mais qu’est-ce que cela a à voir avec la fin
pitoyable d’une I.S. en bout de course ? Et que dire d’une phrase comme
celle-ci où sont évoquées, avec un pathos hugolien, les journées de mai :
« Il faudrait bientôt la quitter,
cette ville qui fut pour nous si libre, mais qui va tomber entièrement entre les mains de nos ennemis.
[…] Il faudra la quitter, mais non sans
avoir tenté une fois de plus de s’en emparer à force ouverte […] », si
ce n’est qu’elles transforment des journées d’émeutes en une « bataille de
Paris » qui n’a pas eu lieu.
(À suivre)
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