Un dernier extrait du livre de Jérôme
Duwa : Surréalistes et
situationnistes Vies parallèles, Éditions Dilecta :
Breton, c’est vrai, était fasciné par
l’ésotérisme. Mais d’abord, ce n’est pas nouveau. Voyance, astrologie,
alchimie, métapsychique sont des sollicitations permanentes : en 1925, les
surréalistes et Breton le premier, consultes régulièrement madame Saco, voyante
à Paris. Les dernières pages du Second
Manifeste sont un vibrant appel à la tradition alchimique, à travers
Nicolas Flamel, ne serait-ce que pour « arrêter les profane ». Alors
de qui se moque-t-on ? Comme d’habitude, plus le mensonge est répété, d’une
part, plus fort il est hurlé, d’autre part, plus grandes sont ses chances de
devenir la vérité. Tout le monde sait parfaitement qu’à l’origine du
surréalisme il y a la recherche de ce que j’appellerai une méta-raison — et la
nécessité de puiser aux sources les plus secrètes de la pensée pour dégager une
logique nouvelle, fondée sur les décombres du rationalisme. Par conséquent,
ceux qui font semblant de découvrir, à partir d’Arcane 17 un engouement soudain de Breton pour l’ésotérisme sont
des ignorants ou des faux témoins. / Second point, l’intérêt pour les sciences
occultes ne signifie nullement une adhésion à leur doctrine. On peut
parfaitement se passionner pour le fonctionnement des mentalités primitives
sans pour autant adopter les croyances qui les orientent. De même qu’admirer
l’admirable Pascal ou l’admirable Saint-Pol-Roux, comme c’est le cas des
surréalistes depuis l’origine du mouvement, n’implique en aucune manière
l’obligation de se prosterner avec eux devant leur christ. / Enfin, et ceci découle
de cela, la passion politique de Breton ne l’a jamais abandonné. Rappelons,
pour qui l’ignorerait, que la fameuse « déclaration sur le droit à
l’insoumission dans la guerre d’Algérie » déclaration qui, sous le nom de
« Déclaration de 121 » a eu un retentissement internationale, en
1960, a été conçue et rédigée par Maurice Blanchot, Dionys Mascolo, Breton et
moi-même. Sartre n’a fait que signer ce texte et du coup, tout le monde le lui
en a attribué l’initiative et la rédaction. Rappelons aussi que les
surréalistes ont collaboré régulièrement, de 1951 à 1953, au Libertaire, organe de la Fédération
anarchiste, pas spécialement apolitique, il me semble. Enfin, sur 47
déclarations collectives publiées entre 1947 et 1966, 26 ont un contenu
spécifiquement politique.
[…]
Paul Hammond – On dit que les situationnistes ont volé le
« feu » surréaliste en mai 1968. / Jean Schuster – Ce n’est pas tout à fait faux. Si
vous lisez attentivement leur revue et les écrits de Vaneigem, vous constaterez
qu’il n’y a pas une seule idée neuve, que tout est pris aux surréalistes à
commencer par la référence à Fourier. Vaneigem est un excellent écrivain,
caustique, cultivé, brillant, mais totalement dépourvu d’armature
intellectuelle. C’est, aurait dit Dali, une structure molle. Il compile les
idées des autres en les arrangeant avec un savoir-faire haute couture. Debord,
lui, est une caricature de Marx quand lui-même se caricature et joue mes
philosophes épais, redresseurs de Hegel et de Feuerbach. La Société du spectacle est avec Citadelle de Saint-Exupéry, le livre le plus creux et le plus
soporifique que j’aie jamais lu. / Les situationnistes ont passé une bonne
partie de leur temps à nous cracher dessus et notamment à se gausser de nos
positions anticolonialistes et de notre confiance dans le potentiel révolutionnaire
du tiers-monde. Si, je veux bien en convenir, nous avons été victimes de
quelques illusions, que faut-il penser de ceux qui nous opposaient les
virtualités révolutionnaires du prolétariat français !!! Pour qui connaît
la classe ouvrière française dans cette seconde moitié du XXe
siècle, c’est à mourir de rire (et de tristesse). En mai 1968, Debord et ses
copains faisaient courir le bruit que 20 000 ouvriers étaient prêts à
descendre dans les rues de Paris pour y faire la révolution. Qui ne connaissait
pas les situationnistes aurait pu croire à une « intoxication »
humoristique. Il n’en est rien. Debord et l’humour, c’est aussi éloigné qu’une
blatte et une danseuse de Crazy Horse
Saloon. C’était du crétinisme pur et simple.
Jean Schuster, Interview par Paul Hammond,
octobre 1987. / Cette interview de Jean Schuster a paru à Londres dans le magazine Statesman.
Où commence la citation de Schuster et où finit-elle ? Comment peut-il parler de mai 68 en octobre 67 ?
RépondreSupprimerL'interview date de 1987, j'ai rectifié ; elle a paru en anglais, et elle resté inédite en français jusque-là.
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