On sait généralement
que l’I.L., puis l’I.S. se sont définis d’emblée contre le surréalisme et plus
particulièrement contre la figure honnie de leur leader ; André Breton. Ce
que l’on connaît moins, ce sont les péripéties de cette histoire conflictuelle que
présente Jérôme Duwa dans : Surréalistes
et Situationnistes Vies parallèles, Éditions Dilecta. Après une première
partie consacrée à l’Histoire, on trouve dans la seconde les Documents complets
la concernant.
Extraits :
Dans le numéro 3,
j’exprimais notre sympathie à l’Internationale lettriste qui nous adressait
régulièrement sa revue Potlatch.
Quelque temps après, Nougé, de passage à Paris, avait transmis à Debord et à
Wolman la proposition de collaboration aux Lèvres
nues. C’est ainsi que leurs textes font leur apparition dans le numéro 6.
Mais par après une chicane survient à partir d’une déclaration que Debord
voulait nous voir contresigner et insérer dans la revue. Il s’agissait en gros
de marquer une sorte de distance à notre égard, tout en maintenant leur collaboration
régulière. Au vrai, les lettristes craignaient que l’on assimilât les Lèvres nues à une publication littéraire
et que, jouet de cette apparence, ils eussent à en éprouver de la honte. Le
souvenir du surréalisme — auquel ils devaient cependant bien des choses (ne
serait-ce que la dérive, nées sous les pas du Paysan de Paris) — les gênait jusqu’à le parodier. / Ce n’était pas
exactement un différent mais si la déclaration ne parut pas, c’est que son ton
péremptoire s’ajoutant à la fragilité de son objet, nous semblait sans intérêt
aucun pour nos rares lecteurs. Ensuite, il me paraissait difficile de ne point
voir dans cette manœuvre le souci de jouer un rôle devant un certain public,
leur public, au regard duquel le mépris est la seule règle nous ait jamais
semblé valable. / Mais je m’en voudrais de m’engager plus avant dans la
critique d’une entreprise qui puisait continuellement en elle-même la
justification de ses ruptures futiles, d’une révolution de palais permanente,
sans pays, sans peuple. Bien entendu, l’humour aidait quelques fois à déjouer
l’ennui d’un jargon déclamatoire sans cesse réitéré où brillait cette
absence d’incertitude qui est le propre
des pensées sans lendemain. / Il n’empêche que les lettristes devenus
situationnistes, malgré leur farouche détestation du langage poétique et
artistique, ne s’appliquaient pas pour autant à échapper à l’écrit sous ses
formes les plus décriées : le manifeste, le livre, le commentaire de film,
ni la peinture qu’exerçaient en bonne règle deux ou trois barbouilleurs au
seuil de la célébrité. À l’encontre des sectes révolutionnaires du passé, ils
ne se défendaient même pas — fût-ce avec ironie mais elle ne trompait guère —
d’établir la scrupuleuse nomenclature de leur démarches et d’en asseoir la très
pieuse conservation. / J’avais quitté la Belgique lorsqu’un autre désaccord,
indubitable celui-là, surgit avec certains de mas amis — Senecaut notamment —
pour déboucher sur le tract bilingue : Pas
de dialogue avec les suspects, pas de dialogue avec les cons, auquel
répondit un tract apocryphe, pastichant le style de l’Internationale
situationniste et attribué à ses représentants. Ce tract, confectionné par Tom
Gutt, se terminait comme il se doit par une exclusion. / Le plaisant de
l’histoire est que le malheureux Kotànyi fut effectivement balancé sept mois
plus tard par ses pairs mêmes. / Éditions
Les Lèvres nues, 1977. / Marcel Mariën, Démêloir
(extrait).
Le pastiche
réalisé par Tom Gutt :
Supplément à
l’L’IS n°8 : L’internationale situationniste prend l’offensive / L’IS vous
l’a dit. L’IS vous le répète : l’IS s’emparera du monde. Nous n’avons plus
le temps ni l’intention de viser moins haut. Le monde ou rien : l’IS ne se
payera pas de mots. Nous sommes la révolution, oui l’indestructible révolution
en marche. Chaque jour des situationnistes naissent. Aux actes, citoyens !
Nous nous adressons à deux milliards et demi de personnes. Le passé, qui est le
non-avenir, comme le futur est à la fois le l’antipassé et le non-présent, ne
nous intéresse pas. La revolu : non. La révolution : oui. Nous en
avons fini une fois pour toute avec ces poussières. Nous n’ouvrirons pas la
porte du passé, jamais. L’IS ne connaît pas ce monsieur. / Nous disposons à
l’heure actuelle d’effectifs suffisants pour ruiner sans lendemain les
structures de l’ordre. Nous sommes les spécialistes de la généralité : d’où
notre puissance. L’IS est en mesure de vaincre, au besoin par la force. Et elle
vaincra : l’on ne va pas à l’encontre de l’Histoire. Die Geschichte mit uns ! D’ores et déjà les diverses sections
de l’IS prennent en main, de manière occulte, tous les leviers de commande du vieil
univers. Le monde est à notre merci, quoi qu’il fasse. Nous ne voulons pas la
guerre. Mais nous la ferons s’il le faut. Que devant elle, l’ordre dépose
immédiatement les armes, et l’IS acceptera de négocier la transmission des
pouvoirs. / Nous ne transigerons pas. Assez de faux-fuyants. L’IS est un bloc,
et doit rester un bloc. Comme par le passé, nous émonderons sans pitié ce qui
tendait à la pourrir, à la saper. Après Nash, après Lefebvre, après les
séquelles du surréalisme stalinien en Belgique, nous avons décidé de dénoncer
les activités d’Attila Kotànyi, puis, comme il appartient à l’IS, de l’en exclure :
cet individu montre depuis peu les signes d’une sorte de mysticisme
déviationniste aussi confus que rétrograde incompatible tant avec notre pensée
qu’avec notre action. Nous disons : halte aux velléitaires ! À dater
de ce jour, aux yeux de l’IS Attila Kotànyi a cessé d’exister. Nous ne ménagerons
personne. Si d’aventure, nous-mêmes faiblissons un jour, nous nous exclurions
nous-mêmes, sans autre forme de procès. / Avis donc : ne vous mettez pas
en travers de notre route. / Nous vous BALAYERIONS ! / Le 31 mars 1963 / Pour
le C.C. de l’I.S., Guy-Ernest Debord, Raoul Vaneigem.
Si elle rejetait
le surréalisme parisien de Breton, l’I.L. a brièvement fait alliance avec les
dissidents belges des Lèvres nues. C’est
que Debord, pour qui Breton était un « père à tuer », avait trouvé
dans la personne de Paul Nougé un modèle paternel auquel s'identifier. Voilà ce qu’en
dit Duwa :
D’un point de vue
théorique, le personnage essentiel de la rencontre entre surréalistes belges et
lettristes est […] Paul Nougé (1895-1967). Si dans l’enquête sur la poésie de
La Carte d’après nature n°5 les lettristes affirmaient l’épuisement de la forme
poétique et en appelaient notamment à « créer des visages nouveaux »
qui seraient l’expression d’une poésie vécue, on peut faire l’hypothèse que
Nougé exauçait déjà en partie ce vœu, tant sa
conduite absolument neuve offrait une figure inédite à la civilisation
régénérée dont Debord et ses amis souhaitaient l’émergence. / Pour se faire une
idée de ce que pouvait signifier une rencontre avec un individu tel que Nougé,
il convient de citer le portrait qu’en fait son ami Marcel Mariën dans Le Radeau de la mémoire, lequel va se
charger d’éditer Les Lèvres nues et
en volume ce que, par commodité, on doit bien appeler l’œuvre de Nougé, bien qu’il
l’ait longtemps tenue effacée : « Nougé conduisait en permanence une
politique des relations humaines dont — sous un angle rigoriste — la sincérité
était pratiquement bannie. Je parle de cette spontanéité épidermique, de cet
échange du tac au tac, dénué de toute préparation et de tout fard qui constitue
l’ordinaire du comportement des humains entre eux. Nougé menait quasi sans relâche,
une inquisition fondée sur un système de feintes où le mensonge calculé tenait
une place si éminente qu’on pourrait dire qu’il lui ait rendu, sinon conféré
pour la première fois, ses lettres de noblesses. / Debord a 23 ans en 1954 et
aussi rétif soit-il alors et rétrospectivement à toute forme de respect […] il
ne pouvait pas ne pas reconnaître en Nougé ce type d’individualité seigneuriale
faisant d’emblé fortement contraste avec les « ambitions limitées » (Potlatch, n°2, 29 juin 1954) et les
gesticulation prophétiques d’un Jean-Isidore Isou.
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