Debord a trouvé dans les films de Carné et
Prévert les illustrations — il n’y a pas là de détournement à proprement parler — qui convenaient à l’évocation de
sa « jeunesse rebelle » dans les « bas-fonds » de Paris.
D’abord dans Les Enfants du Paradis,
principalement dans la figure de Lacenaire, « bandit lettré » ;
puis dans Les Visiteurs du Soir, avec
celles du Diable et de ses « émissaires », auxquels Debord et Michèle
Bernstein sont identifiés : « Dominique
dit à Gilles, la nuit dans le château : “Les autres nous aiment, ils
souffrent pour nous ; nous les regardons ; nous nous en allons. Joli
voyage, le diable paye les frais.” » ; comme il y a
identification avec celle de Lacenaire. Évidemment, cela contribue à mythologiser
les événements ; mais surtout, et il faut y insister, ces figurent
négatives sont retournées
positivement.
Ce n’est là qu’un exemple des nombreux
retournements que l’on retrouve tout au long du film et sur lesquels il faut
revenir. Tout d’abord, et avant tout, il y a le titre-palindrome, qui fait
l’objet d’une longue animation ; celui-ci se retrouve dans l’incruste
finale : « À reprendre depuis le début. » Mais, c’est l’ensemble
du film qui est structuré sur cette notion de retournement — de renversement.
Ainsi dans le Prologue, Debord précise bien : « De prime abord, j’ai
trouvé bon de m’adonner au renversement de la société, et j’ai agi en
conséquence. » Tout de suite après, dans un extrait de film quelconque consacré
aux aventures de Zorro, on peut voir, comme nous l’avions déjà noté, le héros
masqué retourner une mitrailleuse contre l’adversaire. Curieusement Debord dans
son commentaire de la scène ne parle pas de retournement,
comme on pouvait s’y attendre ; il écrit : « Il [Zorro] escalade un mur, s’empare d’une mitrailleuse et la braque sur quelques
personnes malveillantes qui se rendent. » Mais on ne voit rien de tout
cela : ni qu’« il escalade un
mur », ni qu’il « s’empare
de la mitrailleuse », encore moins qu’il « la braque sur quelques
personnes malveillantes qui se rendent » ; la seule chose que l’on
voit c’est qu’il retourne l’arme
contre l’adversaire.
En dehors du titre, le palindrome apparaît
une première fois, cité textuellement, pour évoquer la vie au « quartier » :
« Mais rien ne traduisait ce présent sans issue et sans repos comme l’ancienne
phrase qui revient intégralement sur elle-même, étant construite lettre par
lettre comme un labyrinthe dont on ne peut sortir, de sorte qu’elle accorde si parfaitement
la forme et le contenu de la perdition : In girum imus nocte et consumimur igni. Nous tournons en tond dans
la nuit et nous sommes dévorés par le feu. » La seconde, vers la fin du
film, dans une paraphrase, pour décrire une situation qui s’est généralisée à l’ensemble
de la société : « Ils tournent en rond dans la nuit et ils sont
dévorés par le feu. »
On trouve une seconde allusion au « renversement
de la société » : « La formule pour renverser le monde, nous ne
l’avons pas cherchée dans les livres mais en errant. » Le thème du « monde
à l’envers » est une constante. Debord parle de « l’imagerie inversé
du spectacle ». Le « monde à l’envers » revient un peu plus loin
associé à la figure du diable : « Quand on ne veut pas se ranger dans
la clarté trompeuse du monde à l’envers, on passe en tout cas, parmi ses
croyants, pour une légende controversée, un invisible et malveillant fantôme,
un pervers prince des ténèbres. Beau titre, après tout : le système des
lumières présentes n’en décerne pas de si honorable. »
(À suivre)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire