Avec le Roland
furieux de l’Arioste et l’article : Canon du Dictionnaire de Joseph
d’Ortigue, nous nous trouvons donc en présence des (de ?) deux
« textes-genèse » d’In girum.
Mais, revenons à Paris, « nombril
géographique » du monde debordien, en passe de disparaître. « C’est
une grande chance que d’avoir été jeune dans cette ville quand, pour la
dernière fois, elle a brillé d’un feu si intense. », certes ; mais, désormais,
« Paris n’existe plus. » Il n’y aura plus de retour possible vers ce
qui a cessé d’exister — si ce n’est post
mortem, pour constater l’ampleur des dégâts et ramasser les morts, dans les
« décombres et ordures » de cette « terre gaste » que rien
ne pourra rédimer.
Puisque nous évoquons la « terre
gaste », il faut rappeler la présence sous-jacentes dans In girum du cycle arthurien et la
chevalerie ; principalement à travers de nombreux extraits de la bande
dessinée d’Harold Foster : Prince
Vaillant qui servent, pour la plupart, à illustrer un Portrait d’Ivan
Chtcheglov alias Gille Ivain : « Mais
puis-je oublier celui que je vois partout dans le plus grand moment de nos
aventures […]. », portrait qui se clôt sur la disparition du « plus
beau des joueurs » dans « les forêts de la folie ». Une dernière
évocation de la « folie » de Chtcheglov viendra plus loin, avec une dernière
planche de Prince Vaillant où
celui-ci est « maîtrisé par des gardes » suivie d’un extrait des Visiteurs du Soir où l’on voit Gilles
enchaîné chanter la complainte des enfants perdus : « Triste enfants
perdus, nous errons dans la nuit. Où sont les fleurs de jour, les plaisirs de l’amour,
les lumières de la vie. […] Le diable nous emporte sournoisement avec lui. Le
diable nous emporte loin de nos douce amies. Notre jeunesse est morte et nos
amours aussi. » On retrouve ici la figure du Diable, récurrente dans tout
le film de Debord qui revendique son ralliement à l’Adversaire : « C’est
ainsi que nous nous sommes engagés définitivement dans le parti du Diable, c’est-à-dire
de ce mal historique qui mène à leur destruction les conditions existantes ;
dans le “mauvais côté” qui fait l’histoire en ruinant toute satisfaction
établie. » Là encore ; ce sont des images des Visiteurs du Soir que Debord met à contribution. On voit bien que
le Diable devient, dans In girum, une
figure positive. En effet, il ne faut pas perdre de vue que nous nous trouvons
dans le « monde à l’envers » — c’est ainsi que, de la même manière,
le « terroriste » du film de De Bosio est un résistant. Il se produit
ainsi un renversement de perspective. Le ralliement de Debord est donc tout à
fait justifié : « Nous sommes devenus les émissaires du Prince de la
division, de “celui à qui on a fait du tort”, et nous avons entrepris de
désespérer ceux qui se considéraient comme des humains. » Là encore, le « Prince
de la division » a une action positive : il vient séparer ce qui
était faussement réuni — il en deviendrait presque une figure christique — ;
et ceux qu’il s’agit de « désespérer » ne sont pas des « vrais
hommes », ils ne font que se considérer, faussement, comme tels.
Il y a chez Debord une vison gnostique du
monde où c’est le Mal qui règne sous les apparences du Bien. Il aurait pu
reprendre pour lui, à peut de chose près, le cri d’horreur de Baudelaire :
« Anywhere, but out of [this] world ! »
(À suivre)
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