Le jeu change alors de dimension en même
temps que l’élargissement de son aire ; et se transforme en un « jeu
de la guerre » qui nécessite une pensée stratégique plus élaborée. Debord
qui a toujours aimé jouer « aux petits soldats », s’est beaucoup
intéressé aux « théoriciens de la stratégie » Il imagine dès 1956 un Kiegspiel dont un prototype sera réalisé
en 1965. Il affirmera lui-même que « ce jeu [était] destiné d’abord au
courant situationniste international pour qu’il s’y exerce à la dialectique – à
toute fins utiles » — il s’agissait donc d’un « simulateur de
guerre » (sociale). Il écrit dans son Panégyrique :
« J’ai joué à ce jeu et, dans la conduite souvent difficile de ma vie,
j’en ai utilisé quelques enseignements – pour cette vie, j’avais aussi fixé
moi-même une règle du jeu ; et je l’ai suivie. »
On voit que Debord prend soin de distinguer
le « jeu de la guerre » du « jeu de la vie » tout en
suggérant une relation entre les deux. Mais, s’il dit du premier qu’il
« met en jeu les opérations de deux armées de force égale, chacune
recherchant, par la manœuvre et la bataille la destruction de l’armée
adverse », il ne donne pas de précision sur le second. On sait d’ores et
déjà que les « forces » n’y sont pas égales. — Ralph Rumney a bien vu
que, si Debord cherchait bien des « égaux », il « était plus
égal que les autres » ; ne serait-ce que parce qu’il s’agissait de son jeu et qu’il en connaissait toutes les règles contrairement aux
autres.
La révolution de vie la quotidienne — « pour
nous et tout de suite » — si elle ne voulait pas rester un jeu médiocre circonscrit
à une petite société — un petit libertinage entre amis — devait donc nécessairement
s’élargir à la dimension du « grand jeu révolutionnaire » seul
capable d’instaurer ce nouvel art de vivre auquel Debord aspirait. Mais la
dimension du jeu reste essentielle à
la révolution : « Les révolutions prolétariennes seront des fêtes ou ne seront pas, car la vie qu’elles
annoncent sera elle-même créer sous le signe de la fête. Le jeu est la rationalité ultime de cette
fête, vivre sans temps mort et jouir sans entraves sont les seules règles qu’il
pourra reconnaître. »
(À suivre)
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