À propos de l’article de Raphaëlle Rérolle, Le Monde du 21 mars.
Ça y est : la célébration debordienne est
lancée à la BnF. Rien n’a été laissé au hasard (même le parking est prévu) pour
que le visiteur puisse assister au spectacle dans les meilleures conditions. Le Monde, journal du situationnisme désormais
apaisé — the war is over — ne pouvait être en reste. Il propose donc aux (quelques)
lecteurs qui lui restent une sorte de pense-bête, un best of des lieux commun sur le sujet, intitulé : À chacun son Debord — il y en a effectivement pour tout le monde.
On sait que la fréquentation des lieux communs,
comme celle des lieux d’aisance, est inévitable : tout le monde s’y
retrouve. On ne s’étonnera pas d’y voir Philippe Sollers en compagnie de Cécile
Guilbert, l’une des meilleures pouliches de son écurie ; ni Francis
Marmande « écrivain et professeur de littérature à Paris-VII », de
surcroit pigiste au Monde où il n’a
jamais manqué l’occasion d’afficher son pro-situationnisme paisible ; ou
encore Frédéric Olivennes, « directeur de la communication et du marketing
images de France Télévisions » — tout un programme — qui s’est aperçu en
lisant Debord qu’il était « un
enfant de la société du spectacle » et qui a agit en conséquence ; ainsi qu’Oliviero
Toscani, « le fameux photographe italien qui conçut les affiches [nauséabondes]
de Benetton dans les années 1980 » ; et quelques autres
encore dont on peut penser que, s’ils sont présents, c’est à leur corps défendant plutôt
que poussés par un besoin pressant.
En réponse à Raphaëlle Rérolle qui
s’étonne que cette terrible critique
debordienne ait pu être si facilement adoptée, sans grande conséquence, par
n’importe qui : « Curieusement,
cette vision radicale du monde s'est infiltrée avec une remarquable souplesse
dans les différentes générations qui se sont succédé depuis un
demi-siècle. », un spécialiste aussi incontestable que Jean-Louis Violeau,
« sociologue, professeur à l'Ecole d'architecture de Paris-Malaquais »,
à défaut d’explication se contente de prendre acte de ces étonnants
retournements : « Chaque époque a eu sa manière de lire
Debord. Dans les années 1970, avec une perspective révolutionnaire ; dans
les années 1980, il est devenu le bréviaire des pubards ; la décennie
suivante, il était celui qui ne s'était pas laissé avoir par les bobards des différents
totalitarismes ; maintenant, il inspire les gens d'Occupy Wall Street et les Anonymous pour sa
dénonciation de la société marchande. » — jusqu’aux radicaux du Comité
invisible qui auraient été, eux, jusqu’à
passer à l’acte ; ce qui est tout de même un comble : ces gens ne
savent donc pas lire !
Ce à quoi fait écho le jugement d’un
connaisseur qui à le mérite de trancher : « “La société marchande
recycle tout, souligne
le romancier Morgan Sportès, qui a connu l'écrivain et qui le cite dans son
roman Tout, tout de suite (Fayard, 2011). Il n'y avait pas de raison qu'elle ne recycle pas Debord
!” » Le problème étant ainsi réglé
l’exposition de la BnF — où « chacun
pourra trouver “son” Debord » — peut s’ouvrir à la satisfaction générale — « elle est pas belle la
vie » d’artiste ? — ; et donc particulièrement de son président, Bruno Racine, « qui s'est battu
pour réunir, auprès de mécènes, la somme nécessaire à l'acquisition de ces
archives » ; qu’il s’agit à présent de rentabiliser.
« Guy Debord est devenu un classique » ;
mais « même classique, sa pensée n'a pas perdu ses vertus corrosives »,
nous assure Raphaëlle Rérolle — sans nous rassurer tout à fait : est-que
la Bnf va pouvoir résister à une corrosion prolongée ?
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