Donc :
Meyronnis et Haenel sont sur un bateau (probablement ivre/s). Là, ils ont une
Révélation : Dieu n’est pas mort. Il leur apparaît sous les espèces d’un
(gros) poisson : une baleine ; et la baleine leur parle. En fait, ils
ne sont pas vraiment sur un bateau ; ils sont embarqués dans un (gros)
livre : Moby Dick — mais ils ont
une vraie révélation. Depuis, investis par la Parole et « l’étoile au
front », ils prophétisent et vaticinent à tout va. Dans une revue qu’ils
ont créée ad hoc ; et dans leurs
ouvrages respectifs. Et que disent nos deux prophètes (de malheur) ? En
gros (et en détail) : qu’on est dans la merde ; mais que tout espoir
n’est pas perdu parce que dans cet océan de merde (noire) se trouve une baleine
(blanche).
Mais
trêve de plaisanterie. Comme tous les cassandres, Meyronnis et Heanel ne sont
pas drôles — mais, il n’y a pas de quoi non plus, c’est vrai. Leur petite
entreprise littéraire (et critique) qui se réclame des « grands
anciens » : Lautréamont dont ils ne se sont pas remis, Debord dont
ils essaient de revenir, auxquels il faut joindre quelques littérateurs héroïques
pour compléter l’équipage — la tiqqunerie dont ils se sont approchés sans
vraiment y aborder est à mettre à part, nous y reviendrons — est d’ailleurs
tout à fait honorable. Parmi les « anciens », il ne faut pas oublier
Sollers qui présente surtout l’avantage, pour eux, d’éditer sans mégoter tout
ce qu’ils écrivent — à condition, bien sûr, de se trouver en bonne place sur la
photo de famille (on ne peut rien
refuser à Philippe).
Cela
étant, on peut se poser la question de savoir ce qui ressort finalement de tout
cela. On comprend bien qu’avec leur Ligne
de risque Meyronnis et Heanel ne veulent pas se contenter du menu fretin
facile qu’on ramasse à l’épuisette : ils ambitionnent de prendre place à
la suite des entreprises d’avant-garde qui les ont précédé ; et qui ont
disparues corps et biens, en ne laissant qu’un grand vide, dans lequel ils s’engouffrent sans façon. Cela ne va
pas sans une certaine ambiguïté. Faut-il le rappeler à ces « beaux enfants » :
l’aventure des avant-gardes est morte. Cependant, ils en arborent sans vergogne
la défroque : une revue (plus ou moins) confidentielle, une position de
vigie solitaire doublée de la pose altière du rebelle face au vide de l’époque
— même pas peur ! Bref une critique désarmée
qui menace. On a déjà vu tout cela. Même dans le messianisme, ils n’innovent
pas : Tiqqun est passé par là (la
Kabbale, etc.). Leur néo-gnosticisme lui-même laisse quelque peu perplexe quand
on voit un Sollers revendiquer (sans rire) l’évangile selon Philippe !
Dans leurs (riches) références, il y a aussi le taoïsme, pourquoi pas ? La
plus intéressante est sans doute celle à Mollâ Sadrâ et à la mystique shî‘ite
qui n’intéressent jusqu’à présent que de (trop) rares spécialistes — dont
Christian Jambet, compagnon de route de Sollers dans un autre temps. C’est un
tout petit monde qui se retrouve finalement sur la Ligne de risque. Pour aller où ? C’est une autre histoire — à
suivre, donc.
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