Je poursuis avec une série de citations dont l’intérêt
ne devrait pas échapper au lecteur.
Sur les « objets
bouleversants » : « Le bouleversement est synonyme de révolution
totale, de subversion généralisée et revêt donc un caractère indéniablement
politique. Notons que ce bouleversement est recherché, voulu, puisqu’il s’agit
de construire, d’inventer des objets bouleversants. Et Nougé d’opposer cette
attitude à celle de l’automatisme, “formule d’un nouveau quiétisme” qui s’en
remet — et je le cite : “aux jeux du hasard et de la destinée” et où nous
demeurerions immobiles, penchés sur nous-mêmes comme sur un immense gouffre
d’ombre, à guetter l’éclosion des miracles, l’ascension des merveilles”. Nougé,
quant à lui, tient pour essentiel un pouvoir d’action et, s’il ne sous-estime
pas l’importance du hasard, de l’inconscient, il se refuse à leur sacrifier
l’urgence et la nécessité d’agir. »
« Le bouleversement dont il est ici
question touche à la fois à la vision et aux rapports qu’entretiennent les
objets. Nougé a esquissé une théorisation de la vision. “Voir est un acte” selon
lui et il ne suffit pas d’être ou de créer un objet pour qu’on le voie, car en
réalité “nous ne voyons que ce que nous avons intérêt à voir”. Dès lors, il
convient d’exposer l’objet, en existant le désir, le besoin de le voir. D’où
diverses manipulations comme l’agrandissement, la suppression, le détournement,
la substitution, etc. »
« Car le but pour Nougé est de
bouleverser dans un même mouvement la vision, les relations humaines
matérialisées dans et par les objets, et ce qu’il appelle dans la Conférence de
Charleroi, “la notion d’esprit humain” de l’époque et sa principale tare,
l’attitude contemplative, définitivement ruinée selon lui par la première
guerre mondiale et la révolution russe. »
« L’enjeu est de donner à voir, de
rendre sensible, de faire exister ce qui à force d’être banal était invisible,
n’existait plus. Se dessine ici une des caractéristique de cette théorie :
la dialectique entre le banal et le mystère, le quotidien et le
merveilleux ; une dialectique dont le cœur et le moteur sont la
révolte. »
« Ainsi, l’usage détourné par les
surréalistes belges de formes non littéraires comme la publicité, un livre de
grammaire et la photographie correspond à cette volonté de faire éclater le
cadre artistique en usant du médium dont la distance assure à l’art assure la
plus grande efficacité. Cette liberté par rapport aux moyens utilisés, le refus
de se laisser circonscrire par un médium ou un métier — celui de peintre ou
d’écrivain — se double d’une volonté expérimentale dont les objets
bouleversants constituent l’un des points culminants. »
« Les objets bouleversants, leur
création, correspondent à la fois à la finalité extra-artistique de la
stratégie surréaliste — le renversement d’un monde — et aux moyens d’un art
qu’ils veulent efficace, aux armes propres à la poésie ; une manière complexe
et fragile, mais la mieux à même de lier art et politique, poésie et révolution
sans réduire l’un à l’autre, ou l’un par l’autre. »
« Mais, plus largement, il s’agit aussi
de faire réagir, de dénoncer le danger et le caractère monstrueux et idéologique
d’un manque de réaction, d’une passivité où le rapport neutre aux objets ne se
différenciait pas de nos relations aux autres, marquées par le souci de notre
sécurité. Elle ne serait que le pendant de notre incapacité à vivre à la
hauteur de l’aventure, du merveilleux, de la sommation et du bouleversement de
l’amour, de l’amitié, de la poésie et de la révolution : bref, des seules
qui valent encore la peine de vivre aujourd’hui. »*
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* Les citations qui précèdent sont tirées d’un
article de Frédéric Thomas intitulé : Expériences
photographiques et pratique bouleversante, Paul Nougé et la subversion des images que l’on peut lire à
l’adresse suivante :
(À suivre)
Il faudrait peut-être dire aussi quelque chose de l'engagement communiste (stalinien) de Marcel Mariën et Paul Nougé. J'aimerais savoir si cet engagement a été renié à un certain moment.
RépondreSupprimer@ Slashead
SupprimerIl semble certain que tout comme Scutenaire, Nougé (qui a participé en 1919 à la création de la section belge de la IIIe Internationale, qui deviendra le Parti communiste belge) soit resté admirateur de Joseph Staline jusqu'au bout.
Quant à Mariën, après un séjour de 16 mois en Chine en 64-65 comme corecteur à la revue "La Chine en construction", il en reviendra déçu par le «pseudo communisme chinois».