S’il y eut véritablement rupture — et
pourquoi — entre les lèvres-nudistes et Debord au moment de la fondation de
l’I.S., rien ne permet de l’affirmer avec certitude. « Mariën parle bien
d’un différend entre Les Lèvres nues
et les lettristes mais il est antérieur et il ne semble pas avoir porté à
conséquence : “Mais par après [par rapport au numéro 6 des Lèvres nues] une chicane est survenue à
partir d’une déclaration que Debord voulait nous voir contresigner et insérer
dans la revue. Il s’agissait de marquer une sorte de distance à notre égard,
tout en maintenant une collaboration régulière. Au vrai, les lettristes
craignaient qu’on assimilât Les Lèvres
nues à une publication littéraire et que, jouet de cette apparence, ils
eussent à en éprouver de la honte. Le souvenir du surréalisme auquel ils
devaient cependant bien des choses (ne serait-ce que la Dérive, née sous les
pas du Paysan de Paris — les gênaient jusqu’à les parodier. / Ce n’était pas
exactement un différend mais si la déclaration ne parut pas, c’est que son ton
péremptoire s’ajoutant à la fragilité de son objet, nous semblait sans intérêt
aucun pour nos lecteurs. Ensuite, il me paraissait difficile de ne point voir dans
celte manœuvre le souci de jouer un rôle devant un certain public, au regard
duquel le mépris est la seule règle qui nous ait jamais semblé valable.”* / En
1978, lorsque ces lignes furent écrites, le ton amer et les reproches ont
remplacés la belle entente qui régnait de 1954 à 1957 ; il en allait déjà
de même en 1972, lorsque Mariën rendit compte en ces termes de la parution d’un
ouvrage sur l’I.S. : “Chronique littéraire / De même que
Mallarmé voyait le monde déboucher sur un livre, on sait maintenant sur quoi
s’achève le situationnisme et quelles étaient ses ambitions : une table
des matière et un index des noms cités.”** / Mariën ne parle cependant pas de
rupture à cette époque. » Cependant, ce qui « n’était pas exactement
un différend » était déjà le signe
d’une prise de distance qui se terminerait par un reniement.
En attendant : « La dernière livraison
des Lèvres nues (10-12, sept. 1958)
publie encore la réponse de Bernstein et Dahou à son enquête, mais il est vrai
que l’appel à contribution avait paru dans le numéro 9, presque deux ans
auparavant. Les publications de l’Internationale situationniste, tant Potlatch qu’Internationale situationniste, ne font plus aucune allusion au
groupe belge des Lèvres nues, excepté
de brèves évocation de Nougé et Mariën [I.S.,
2, p. 27] […]. Ils ne les insultent pas non plus. Tout porte à croire que la
fondation de l’I.S. a plus ou moins coïncidé avec une distanciation entre le
groupe de Debord et les Bruxellois. Debord a-t-il fait un grand nettoyage lors
du passage à une autre étape, comme il l’a déjà fait pour Potlatch ? Ou la distanciation — la rupture a-t-elle eu lieu
pour une raison précise ? Nous ne sommes pas en mesure de répondre à cette
question pour le moment. »
S’il ne semble pas y avoir eu de raison
précise pour une « rupture », on remarquera cependant qu’elle était
bien dans la manière de Debord qui n’hésitait jamais à se débarrasser d’anciens
« camarades » dont il n’avait plus besoin quand le moment était venu sans
qu’il soit besoin de donner une raison — et quand il en donnait une, c’était
rarement la vraie. Ce qui est certain, c’est que cela ne pouvait être les
sympathies communistes des Bruxellois qui étaient connues de Debord — ce n’est
que plus tard que « l’allégeance des Bruxellois au parti communiste […] a
provoqué [un] rejet véhément ou, du moins, […] l’a justifié ».
« Les seules traces que nous ayons
trouvées de rupture définitive et accompagnée d’insultes sont en rapport avec [un]
tract mentionné par Vaneigem […] : “[…] il n’y a jamais eu de contact
entre situationnistes et surréalistes belges ou français (si l’on excepte un
tract “pas de dialogue avec les cons” qui maltraite un peu quelques
sous-produits du surréalisme bruxellois qui étaient venus nous solliciter contre
une prétendue montée du fascisme).” » [Lettre à Geneviève Michel, 20 novembre
1997.] Il faut noter que « Nougé n’est pas directement concerné dans cette
affaire ; c’est Gilbert Senecaut, traité dans le tract en question de
“vieux raté du stalinisme littéraire”, qui avait proposé aux situationnistes de
signer une déclaration prétendant selon les termes de ses détracteurs :
“a) que le fascisme menace de saisir la Belgique ; / b) que subséquemment
la seule force révolutionnaire à appuyer serait le parti communiste belge :
/ c) qu’il serait bon que nous choisissions entre le fascisme et leur propre nullité
conservée et transmise congelée, depuis 1930.” / La réponse péremptoire à cette
demande figure dans le tract bilingue (néerlandais-français) signé par Raoul
Vaneigem et jan Strijbosch, et daté du 27 février 1963 : / “Toute tentative,
même plu discrète, de relations de ce genre avec l’I.S. devra avoir cessé en Belgique
à la date du premier mars 1963.” / Il y a fort à parier que c’est à ce propos
que, quinze jours plus tard, Debord envoya le billet suivant, retrouvé dans les
archives de Mariën : “Vous avez déjà dû entendre que, quand on essaie de
répéter un moment passé de l’histoire, quelque grandeur qu’il ait connu, la
deuxième fois ne peut se jouer qu’en farce. Cela s’applique aussi à vos émotions
culturelles et politiques. Veuillez croire que la promptitude de cette réponse
n‘enlève rien au mépris que j’ai pour vous.” »***
Vangeim peut bien écrire, dans la lettre à
Geneviève Michel citée précédemment, qu’« [e]n dehors d’une sympathie
certaine pour les textes de Havrenne, Scutenaire, Nougé, Van Bruaene et Chavée ;
[il] n’[a] jamais souhaité, dans les années 60, frayer avec des gens dont le
parti pris artistique et l’admiration professée pour Staline — quelque
dérisoire qu’elle fut, nous paraissaient inacceptables.” », il n’empêche que
ce n’était à l’évidence pas le cas dans les années 50 pour Debord et ses
camarades lettristes qui collaboraient alors activement avec les
lèvres-nudistes qu’il trouvaient tout à fait « fréquentables ». Ce n’est
que quand il s’agira de se débarrasser de ces « complices » devenus aussi
encombrants qu’inutiles pour l’I.S. qu’on se souviendra de leurs sympathies « staliniennes »
pour mieux les rejeter aux poubelles d’une l’histoire où ils n’avaient plus
leur place.
____________________
* « Mariën, M., Déméloir…, p. 17. Dans une lettre qu’il envoie à Mariën le 17 mai
1956, Debord explique ainsi ce différend : “Nous voulons tous, ici, éviter
l’apparence inoffensive d’une collaboration littéraire, fût-elle à la
publication littéraire la plus avancée. Vous aussi sans doute. Il nous
paraissait donc nécessaire d’exposer quels motifs d’action nous sont communs.
Le retard apporté à un tel préalable pourrait donner à penser qu’il n’y en a
pas.” »
** « Il s’agit de Raspaud,
Jean-Jacques ; Voyer, Jean-Pierre, L’Internationale
situationniste, Protagonistes /
Chronologie / Bibliographie (avec un index des noms insultés), Paris, Champ
Libre, 1972. (Mariën, Marcel, “Chronique des occasions” dans Les Lèvres nues, 5 (nouvelle série), mai
1972, p. [7].) »
*** Toutes les citations sont tirées de
Geneviève Michel.
C’est toujours la même rengaine avec XL qui croit faire œuvre d’historien polémiste alors qu’il ne fait que jouer le procureur besogneux avec ses ciseaux et ses citations, toujours tronquées et orientées : il vaut mieux lire directement la thèse de Geneviève Michel p. 133-136 pour avoir une idée plus honnête, plus claire et plus distanciée de la question de la « rupture » entre Mariën et Debord après 1957 plutôt que le méli-mélo ignoble qu'il nous sert.
RépondreSupprimerhttp://www.tdx.cat/bitstream/handle/10803/4926/gm1de1.pdf
Pour tous les autres que Debord, XL prétend examiner le contexte et par exemple comment le fanatique de Joseph Staline qu’était Paul Nougé après 45 a vécu sa ferveur communiste à diverses périodes (on aura compris que XL n’a rien étudié là-dessus et qu’il n’utilise que ses précieux ciseaux) ; mais pour Debord, il en va tout autrement puisque, pour XL, pas d'étude de contexte entre 1954 (époque où il se rapproche des lèvres-nudistes) et 1963 (où l’I.S. rompt avec les débris stalino-surréalistes tels que Senecaut, encore proche de Mariën) : tout est linéaire et quasi ontologique ; Debord sera toujours coupable, voilà le credo du piètre Fouquier-Tinville strasbourgeois.
Et il espère encore faire illusion avec de telles méthodes ?
La groupie du situationniste remixe en boucle ses hymnes à la gloire du Big Guy sur le dance-floor auquel il essaie (en vain) de mettre le feu ; et dans lequel il tourne en rond (comme une queue de pelle à tarte) jusqu’au bout de la nuit (où tous les ânes sont gris). Mais il a du mal à faire illusion — même quand il augmente le volume du son.
Supprimer